L’effusion de possibles que portent le passé est infinie, parmi répandue autour de nous et il suffirait presque de se baisser pour s’en saisir ; s’il n’y avait pas la question du risque de se brûler.
Read MoreIls disent les jours heureux et ils montrent les tableaux, les courbes. Ils disent aussi nous. Ils disent les mots efforts à ceux qui n’en peuvent plus, ils répètent les jours heureux et évidemment le mot grince, le mort tord le cœur, ils souriraient presque. Ça y est, ils sourient en disant les jours heureux, peut-être qu’ils le pensent, non, ils ne le pensent pas, ils disent les jours heureux sans rien penser ni rien savoir de ce que peut être l’heureux des jours, s’ils savaient : ils ne le diraient pas, en souriant.
Read MoreAprès le discours du président, je ne sais pas, j’ai senti une chape de tristesse autour de moi. Sur FB, parmi mes contacts. Dans la rue en sortant faire les courses. On sent ça — comment les gens se regardent ou ne se regardent pas. Comment ils marchent. Comment ils rentrent la tête dans les épaules ou baissent les yeux. Comment ils sont pressés de prendre ce qu'ils prennent.
Read MoreVers le soir, l’impuissance qui grandit tout le jour s’impose soudain, large et grave, insoutenable, précise. On n’y peut rien, disent-ils : et c’est vrai que la maladie n’appartient à aucun camp constitué dans la lutte. Elle est prétexte à tout effacer de toute lutte. Et pourtant ?
Read MoreLe confinement n’est pas la période exceptionnelle de l’époque, mais son exacerbation. La société de contrôle et de surveillance s’exerce à merveille ; les êtres se découvrent dans la solitude au miroir de leur abandon ; ils pensaient pouvoir enfin trouver du temps : ils ne saisissent que de l’ennui : savent bien qu’ils sont chez eux enfermés.
Read MoreIl y a eu cet épisode des masques commandés par la France et rachetés, trois fois le prix conclu, par les Américains. Les journalistes se sont centrés sur cette incroyable compétition, où toute morale était abolie d’un coup. Et moi, allez savoir pourquoi, j’ai vu une autre image : l’image — vue je ne sais plus où — d’un camp nazi de prisonniers de l’Armée rouge, que l’on n’avait pas nourris depuis des jours, et à qui leurs gardiens jetaient de la nourriture par-dessus les barbelés.
Read MoreDepuis, je ne sais pas, deux-trois jours, je sens monter un sentiment qui n’est plus l’accablement, plus la surprise, non, mais qui est comme un sentiment de honte. D’une honte aux visages multiples, on pourrait croire, mais c’est la même.
Read Morepuisque nous voilà réduits à nous-mêmes
puisque nous sommes seuls et des millions à chercher
dans cet isolement
l’élan qui nous rendra notre liberté,
– la santé de la liberté / la liberté de la santé –
puisqu’il nous reste, quoi ?*
un peu de temps à ne plus le perdre
à ne plus le donner à qui le brade.
Donc nous voilà entrés dans l’inédit. Tous. Du jour au lendemain, partout. Pas sûr qu’il y ait déjà eu une rupture aussi radicale dans l’histoire de l’humain, qu’un événement d’une telle ampleur se soit déjà produit. Du jour au lendemain, partout, nos existences ont muté. Intimement, collectivement.
Read MoreCe qui est intéressant dans l’affaire Matzneff, telle qu’on peut désormais l’appréhender à sa juste infamie après lecture du puissant récit de Vanessa Springora, c’est qu’elle est très souvent et très insidieusement détournée de sa leçon première – entendre la voix de la victime – afin de permettre la réactivation d’une dialectique permissivité-interdit. Comme si, pour mieux encaisser l’abjection dévoilée dans Le Consentement, certains avaient à cœur de remettre au goût du jour l’ancien clivage droite-gauche.
Read MoreJe pense à Ruth Zylberman. A ce film majeur qu’elle a réalisé sur le 209 rue St Maur. Sur les gens qui vivaient dans cet immeuble, sur leur destin. Comment, peu à peu, on essaie de reconstituer, à partir de témoignages, de portraits, ce qui reste de la vie de gens simples pris dans la Catastrophe.
Read MoreAndré Gunthert | De l’affaire Benalla à la colère de Mélenchon face aux perquisitions, en passant par le lycéen braquant une enseignante, ou le passager raciste du vol Ryanair, une cascade de vidéos abreuve quotidiennement le cours de l’actualité. Plus qu’une simple information, ces documents comme arrachés au réel, rediffusés par les réseaux sociaux et les chaînes d’info continue, réveillent le débat public et échauffent le commentaire. Doté par l’image d’une connaissance instantanée, chacun a un avis à donner. Comme les experts polyvalents des plateaux télévisés, les meilleurs amis se contredisent à plaisir sur Facebook, et participent à l’élaboration du récit médiatique… En d’autres termes, l’expérimentation par excellence de l’opinion en train de se faire.
Read MoreChristian Perrot | En exergue de L’Autre Quotidien aujourd’hui, cette évidence, qui m’a frappé hier en suivant ce qui se passait en soirée à Marseille : “Tout vrai journal est condamné à devenir un journal de guerre”. J’avais commencé la journée en recevant une vidéo postée par les zadistes de Strasbourg montrant des gendarmes s’acharner a cinq contre sur un opposant pacifique au projet d’autoroute traité comme un criminel. Je l’ai finie en me demandant ce que pouvaient avoir dans la tête les policiers qui matraquaient d’aussi bon coeur les marseillais venus par milliers dire leur indignation après la mort de huit des leurs dans l’effondrement de leurs immeubles.
Read More