Si bien que tu dois travailler comme un fou. Par Arnaud Maïsetti

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Ce n’est pas que tu sois enseveli dans la mine que des masses de pierre te séparent, faible individu que tu es, du monde et de sa lumière ; tu es dehors, et tu veux pénétrer jusqu’à celui qui est enseveli, et tu es impuissant en face des pierres, et le monde et sa lumière te rendent plus impuissant encore. Et à chaque instant celui que tu veux sauver étouffe, si bien que tu dois travailler comme un fou, et il n’étouffera jamais, si bien qu’il ne te sera jamais permis de t’arrêter.
— Kafka, Journal, décembre 1920
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Vers le soir, l’impuissance qui grandit tout le jour s’impose soudain, large et grave, insoutenable, précise. On n’y peut rien, disent-ils : et c’est vrai que la maladie n’appartient à aucun camp constitué dans la lutte. Elle est prétexte à tout effacer de toute lutte. Et pourtant ?

Restez chez vous : disent-ils. Mais allez travailler, ajoutent-ils. Puis, non. Puis : bientôt. Puis, pas encore. De part et d’autre, rien que le pire. Enfermés, souffrent ceux qui souffrent déjà tant — dans la promiscuité, le nombre est violence, comme la solitude. Mais lâchés dehors, on est proie facile de la maladie toute prête à revenir. Alors, le pire, de part et d’autre. Je lis les avis qui ne cessent de s’écrire d’un côté et de l’autre de la ligne de partage, dont les radicalités me convainquent, à tour de rôle, jusqu’à ce que je ferme l’écran d’épuisement.

C’est peut-être à cela que la nation apprenante s’attèle : nous rendre dociles et incertains.

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On sait les intérêts partout présents : que la machine doit reprendre, quoiqu’il en coûte, que le nouvel ordre est surtout comme l’ancien, celui-là qui regarde avec plus d’inquiétude tomber la courbe de la croissance à mesure que l’autre courbe continue de monter, jusqu’à quels ciels ? On sait les intérêts travailler hors tout confinement : ils ont leurs propres intérêts qui ne sont pas les nôtres.

Printemps 1922, Kafka raconte son agonie, lentement, précisément, sans affect, non sans distance. Il a la force le 7 mars d’arracher à la douleur : « la soirée d’hier, la pire de toutes, comme si tout était fini ». Le plus terrible est qu’il écrive longuement de nouveau le 9 mars. D’avoir connu la fin et de l’envisager depuis l’après. Le 16 mars, deviendra insupportable « la peur des rats qui me déchirent et que mes yeux multiplient ». On ne sait pas s’il décrit ce qu’il éprouve, ou si ce sont des pistes pour des récits à venir. On se doute quand même.

La lumière est terriblement pure aujourd’hui. Ils annoncent de la pluie pour toute la semaine jusqu’à la fin possible de toutes les prévisions. Au-delà, le retour du ciel : mais ce n’est qu’un pari sur l’avenir improbable.

En échange de toute la fatigue, se jeter comme un damné sur le texte, quand il fait très nuit, que la fatigue est plus grande que le monde : y passer une demi-heure seulement, arracher douze lignes, s’effondrer.

Je ne peux écouter de la musique qu’en boucle, et cent fois ; de la musique répétitive, très forte, jusqu’à pénétrer en elle et m’y confondre et m’y abolir.

Il y a des habitudes qu’on prend et dont il sera difficile de se défaire. Par exemple : les visages, est-ce qu’on saura les regarder de nouveau ? Non.

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arnaud maïsetti - 14 avril 2020


Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | CarnetsFacebook et Twitter @amaisetti.