Chroniques de vies brisées - La police et le peuple en 2019

 
Sans l’autorité d’un seul, il y aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L’autorité d’un seul, c’est un crime.”
— Louise Michel.
 
Photo NnoMan

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**Samedi 22 juin- Nantes, fête de la Musique, fin de soirée.**

Un couvre feu non respecté justifie une violence policière démesurée, suivie de chutes de 14 personnes dans la Loire
Les images sont choquantes, la présence des chiens, agressifs, les charges policières aveugles et violentes nous renvoient inévitablement des flashsbacks de certaines périodes de guerre passées...
Quand 5 à 15 minutes dans l'eau deviennent une éternité, quand 5 à 15 minutes nous font prendre cruellement conscience à quel point la vie peut ne tenir qu’à un fil, quand ces 5 à 15 minutes deviennent une lutte pour la survie, quand on réalise pendant ces 5 à 15 minutes, que faire la fête est devenu dangereux en ces jours menaçants, si la police s’en mêle…

Ou est passé Steve ?

Lieu : Nantes, Crime : non respect du couvre feu et musique tardive, Sanction : violences débridées, 14 chutes, plusieurs blessé(e)s, une personne portée disparue à ce jour.

**Dimanche 23 Juin 2019 - Marseille, participation à une manifestation**

Le samedi 22 Juin à Marseille lors d’une manifestation de Gilets Jaunes un jeune est violemment matraqué par un policier. 
Coincé entre des plots en métal, le policier le pousse violemment, puis lui assène plusieurs coups de matraque sur la tête. 
Avec l’aide d’autres manifestants, le jeune homme arrive à s'extirper des plots.
Il a la nuque en sang, il est abasourdi.

Lieu : Marseille, Crime : participation à une manifestation. Sanction : Matraquage intensif

**Dimanche 23 Juin - Poitiers, Montbernage.**

Un jeune homme est placé dans le coma artificiel après une interpellation avec usage du Taser de la part de la Police. La police procède à l’interpellation d’un groupe afin de vérifier que leurs chiens sont en règle, le contrôle est selon le parquet tout à fait justifié et qui plus est plusieurs personnes au sein du groupe étaient fortement alcoolisées.

Toujours selon le parquet, s’il y a eu usage du Taser c’était pour maîtriser un individu en rébellion, rien d’autre…

Petit problème cependant...la version de la compagne de la victime, diffère de cette version « officielle ». Elle dénonce une mise sous pression régulière de son compagnon par certains policiers. Elle est arrivée, suite à un appel de son compagnon, en cours d’interpellation. 

"Il m'avait appelée, j'ai entendu "contrôle" et puis ils lui ont arraché le téléphone. Je suis venue tout de suite. Il était allongé sur un banc avec sept ou huit policiers sur lui. Ils n’ont pas voulu me laisser lui parler. Il ne bougeait pas, il était calme et ils lui ont mis un coup de Taser, puis deux, puis ils l'ont laissé sept secondes. Quand j'ai voulu filmer, un policier m'a gazée. J'ai vu que Steve ne bougeait plus, il était inconscient. Ils l'ont chargé dans une voiture et ils sont partis."

Lieu : Montbernage, Crime : posséder des chiens et avoir bu de l’alcool, Sanction : coup de Taser entraînant le coma.

**Mardi 25 Juin, Vaujours - Seine-Saint-Denis**

Un gradé de la BAC plante des ciseaux dans le cou d’un lycéen de 17 ans.

Une patrouille de la BAC procède à un contrôle d’identité auprès d’un groupe de jeunes suspectés de les avoir insultés. Le contrôle dégénère, les policiers deviennent rapidement insultants. Un adolescent rapporte leurs propos : "C'est un signe de faiblesse. Si vous aviez affaire à des adultes, vous vous comporteriez différemment."

Ces paroles pourtant sensées ont porté la violence policière à son apogée : "Il voulait qu'on se disperse. On n'allait pas assez vite, selon lui. Il a avancé vers moi, a pointé ses ciseaux et me les a plantés dans la gorge, à droite de la pomme d'Adam. Ensuite, avec mon tee-shirt, je me suis fait un point de compression. Aucun des policiers ne m'est venu en aide."

Bien entendu, le policier incriminé nie cette version des faits en bloc et en donne une autre, selon laquelle ce geste serait accidentel. Cependant, il ne peut pas nier la blessure en elle même et avoue bien en être à l’origine. "Je l'ai attrapé par le cou, j'avais encore les ciseaux dans la main".

Depuis quand, en possession d’une arme blanche, dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, saisit-on quelqu’un au cou sans la lâcher ? En outre, la jeune victime sera placée en garde à vue à sa sortie de l’hôpital, le lendemain c’est son père qui sera arrêté et placé à son tour placé en garde à vue pour douze heures, puis sa soeur, venue lui apporter des vêtements de rechange…

Stratégie d’intimidation policière ? On vous laisse juges.

Lieu : Vaujours, Crime : suspicion d’insultes, Sanction : ciseau planté dans la gorge.

**Mercredi 26 Juin - Rouen**

Lors d’une opération de tractage, sans entrave de la circulation, par des Gilets Jaunes, une patrouille de Police intervient pour des contrôles d’identité qui "dérapent " ou "dégénèrent", euphémismes policiers pour ne pas dire qu’ils deviennent tout simplement violents.

Un gilet jaune est alors interpellé, dans le fourgon, trois policiers sur lui, deux le maintiennent fermement pendant qu’un troisième le tase.

Des personnes leur indique que la victime est cardiaque, sans effet sur les policiers. 
Lorsque le bourreau est apostrophé, il justifie son acte par "Il n’avait qu’à se laisser faire c’est tout ce que j’ai à vous dire moi".

Lieu : Rouen Crime : Tractage Sanction : Taser.

Voici les chroniques d’une police meurtrière sur cinq jours, juste un aperçu, car ce ne sont que les affaires médiatisées et filmées. 
Combien restent dans l’ombre ? Combien ne sont pas filmées?
En France, le refus de se soumettre à des ordres absurdes, de contestation d'actes hors cadres, est une prise de risque pour son intégrité physique et sa vie !

Ce qui est réellement inquiétant c’est le passage de ces violences policières dans le commun, l’ordinaire, une habituation progressive, alors même qu'elles se visibilisent par leur généralisation, depuis novembre 2018.

Car lorsqu'on s'habitue cela devient normal, lorsqu'on s'habitue on est moins choqué, en revanche la peur s'installe, et on se soumet plus facilement...

L’absurde a également sa place, et lorsque l’on découvre les motivations policières en termes de réponse violente, on est soufflé par leur non sens. Imposer l’absurde, l'illogique, le rendre habituel et régner par la peur.

Le mouvement des Gilets Jaunes aura du moins permis une prise de conscience collective de la violence policière, qui est constante depuis bien longtemps déjà...

Des réflexes sont alors apparus et des vidéos inondent les réseaux sociaux. Elles constituent la seule défense face à des actes insensés, commis par des personnes armées elles, de LBD40, de GLIF4, de lacrymogènes, de boucliers, de casques, de canons à eau, de tasers...liste non exhaustive...

Le smartphone comme unique défense, face à des armes parfois létales.

Il n’y aura pas de justice. Laurent Nunez l’a dit lui même, le 2 juin 2019, lors de son intervention au grand jury, qui traitait en partie des Gilets Jaunes. Il a souligné que les policiers bénéficient de la protection fonctionnelle, des avocats pris en charge par l’Etat entre autres, et que l’Etat fera systématiquement appel des condamnations éventuelles des policiers.

Cela annonce la couleur générale du traitement des violences policières et révèle un système opaque qui les nie et les dissimule.

Mais maintenant, vient l’après. Que fait-on de cette prise de conscience ? Que fait-on pour la combattre ensemble ? 
Pour toutes les vies brisées par des violences policières ou la répression judiciaire, pour tous les morts, pour tous les blessés, pour tous les faits dont nous avons été témoins ou que nous avons visionnés, nous avons désormais le devoir de réagir. 
Nous ne pouvons plus dire " je ne savais pas".

Une dictature, ce n'est pas seulement quand l’armée est dans la rue et qu'on reste cloîtré chez soi. Il est plus que temps de perdre cette image "fantasmée" de la dictature.

On y est bien avant, on y est quand le niveau de liberté individuelle et collectif est réduit à un niveau dangereusement bas, au profit de l'impunité du bras armé d'un Etat tout puissant. 

On y est quand la répression devient le dernier rempart de l’Etat contre la parole contestataire, et la liberté d'opinion. 
On y est quand la liberté de la presse est menacée. 
On y est lorsque les pouvoirs ne sont plus séparés et qu’un seul homme, son gouvernement et ses alliés les concentrent.

Nous sommes entrés dans une phase de lutte active. Individuellement, une raison précise est souvent à l'origine d'un engagement, mais vient par la suite la conscience collective. On lutte contre un système. Abattons le. Pour reconstruire.

Marie Laure et Nathalie Athina, 27 Juin 2019

Crédit photo NnoMan

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https://www.revolutionpermanente.fr/Vaujours-Un-policier-de…