Ah l'amour ! feuilleton politique n°2 - Marseille

TOUT VRAI JOURNAL EST CONDAMNÉ A DEVENIR UN JOURNAL DE GUERRE

En exergue de L’Autre Quotidien aujourd’hui, cette évidence, qui m’a frappé hier en suivant ce qui se passait en soirée à Marseille : “Tout vrai journal est condamné à devenir un journal de guerre”. j’avais commencé la journée en recevant une VidÉo postée par les zadistes de strasbourg montrant des gendarmes s’acharner a cinq contre Un sur un opposant pacifique au projet d’autoroute traité comme un criminel. je l’ai finie en me demandant ce que pouvaient avoir dans la tête les policiers qui matraquaient d’aussi bon coeur les marseillais venus par milliers dire leur indignation après la mort de huit des leurs dans l’effondrement de leurs immeubles. cette bêtise profonde des forces de l’ordre dÉfendant jusqu’au bout l’indéfendable, quelque chose qui s’écroule, le règne de 23 ans sur une ville d’un maire lointain, calfeutré dans son palais, et dont le peuple réclame le départ, rappelait la Roumanie de Ceaucescu ou l'Ukraine en perdition. cette violence policière contre le peuple de marseille qui a duré tard dans la nuit, et s’est exercée jusque dans la rue où les immeubles se sont effondrés, n’a pas été montrée à la télévision, dite dans les radios. des témoignages circulent sur les réseaux sociaux. L’idée est de les rassembler. en voici quelques-uns (les noms ont été enlevés).

Photo Philippe Pujol

Photo Philippe Pujol

Que se passe-t-il à Marseille ? Comment tout un centre ville déjà en deuil peut il être ratonné de nuit par des flics en tenue et en civil armés de matraques et de bombes ? Ils ont remonté vieux port et canebière en armada, fracassant tous ceux qui passaient sous leurs mains et leurs bottes, manifestants en colère ou familles en promenade. Il y a de nombreux blessés. Les sirènes ne cessent plus dans la ville depuis le 5 novembre, elles vous réveillent la nuit et vous suivent tout le jour. Vous avez peur que votre immeuble s’effondre. C’est tout l’inconscient de la ville qui semble monter à la surface.

Natacha Samuel

L'émotion est toujours très vive, 9 jours après les événements qui ont coûté la vie à huit personnes (au moins), et après la marche blanche de ce weekend (pas loin de 10 000 personnes), c'est autant de monde qui s'est réuni ce soir pour converger vers la mairie. Estampillée "La Marche De la Colère", la manifestation est composée d'une immense foule bigarrée, solidaire, dans laquelle plusieurs quartiers sont représentés. La colère, mais toujours le deuil. Les proches des victimes sont là. Les familles. Il y aura des témoignages autour d'une peinture immense à l'encre rouge : 05-11-18. Il y a tous les âges, (presque) toutes les classes sociales, tou.te.s crient d'une seule voix. Quand devant la mairie, très très vite après l'arrivée de la foule, les CRS ont lancé les premières bombes lacrymo, bien au milieu, histoire de toucher les familles et les enfants, une dame reste au sol un long moment. Je ne sais pas ce qu'il est advenu d'elle. Monsieur Gaudin, qui a mis une semaine à exprimer ses condoléances, trop occupé à tenir des propos indécents, a dans son tweet évoqué sa solidarité aux familles et aux proches des victimes. C'est dommage qu'il ne fut pas là pour le leur dire directement. Mais le message est bien passé. D’abord avec les bombes lacrymogènes dans la foule, puis lors des charges qui ont laissé plusieurs personnes à terre. 

La palme de l’ignominie revient à la BAC de Marseille. Sur le vieux port, puis la Canebière, plusieurs petits groupes ou personnes isolées ont été agressées, molestées, tabassées et/ou gazées. J'ai entendu pas moins de cinq témoignages différents en 20 minutes. Et on ne pouvait pas les confondre avec des black blocs... Des jeunes, un papa cinquantenaire, des groupes absolument non agressif. Un ami m'a raconté : " On m'a tapé sur l'épaule tandis que je marchais vers le métro, je me suis retourné, et me suis fais vider une gazeuze à bout portant dans les yeux". Les passants lui sont venus en aide pendant que les hommes de la BAC témoignaient la solidarité de Gaudin (et la leur) aux riverains endeuillées à coup, ce coup ci, de matraques télescopiques. D'autres témoignages qui vont dans le même sens ont été rapportés à mes proches. 

Scandaleuse réponse de violence et de mépris.
Vu le nombre de personnes concernées, il est clair que c'est une volonté politique.
C'est à vomir.
La manif, heureusement était ce qu'il fallait qu'elle soit. Détermination, solidarité, et nombre.
Gaudin démission !

( PS : La photo est de Philippe Pujol qui a écrit le livre à lire sur Marseille : La Fabrique Du Monstre )


Je viens de lire ton post sur les témoignages nombreux de violences policières.
C'était un truc de ouf hier...
Je n'ai pas pu rester à la manif plus d'une demi-heure mais à peine arrivée, alors que la manif commençait juste, j'ai été en partie témoin d'une agression grave.
Quatre femmes, mères de famille, exprimaient leur colère à un cordon de flics qui encerclaient au garde à vous un homme, la cinquantaine, au sol et inanimé. Cet homme a été très violemment poussé par un keuf, sans raison, il a voltigé sur trois mètres et son crâne a percuté un poteau au moment de sa chute. Les femmes ont vu la scène : pas un policier n'a réagi, il a fallu que l'une d'entre elles leur somme d'appeler les secours pour qu'ils daignent porter un soupçon d'attention au mec qui ne bougeait plus et qui a été laissé dans cet état, sans considération, de très longues minutes. Lorsqu'ils ont appelé les secours, ils ont évoqué une "mauvaise chute". 
Un baqueux faisait mine de s'occuper du mec au sol ; alors qu'il tentait de minimiser l'affaire, une dame lui explique avec une colère légitime qu'elle a très bien vu ce qui s'était produit. Le baqueux l'a insultée, commandé de "bien fermé sa putain de gueule, de se mêler de son putain de cul, qu'il n'y avait rien à voir et qu'elle n'avait rien vu". 
L'homme au sol a très lentement fait rouler sa tête (ce qui nous a toutes rassurées quant à son état : nous pouvions largement le penser mort), montrant une large plaie au crâne. 
Il a été pris en photo par une nana, et les dames étaient tout à fait décidées à témoigner devant la police de ce qu'elles ont vu.
Le mec au sol n'avait rien d'un black bloc, et je ne suis même pas sûre que la foule qui était témoin participait à la manif...


Nous, Mathieu 28 ans et Laurie 24 ans, frère et sœur vivant à Marseille, avons été à la Manifestation du mercredi 14 novembre suite à l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne à Marseille. Nous avons été extrêmement choqués de la tournure qu’on pris les choses. Nous souhaitions témoigner.

Laurie vient d’emménager à Marseille et moi ça fait un an que j’y habite. Nous sommes malgré tout attaché à cette ville, et surtout dépité par la gestion de la ville par la Mairie. Quand on vient de l’extérieur ça choque car Marseille a dix ans de retard sur plein de points (transport en commun, propreté, recyclage, civilité, corruption, etc). Encore une fois ce soir, cette ville nous a étonné, de par la violence des forces de l’ordre. Laurie va régulièrement manifester, moi un peu moins. Nous n’avions jamais fait de pancartes, Laurie avait du matériel chez elle, c’était l’occasion. Nous nous sommes donc retrouvés à 17h, chez elle.

Marseille est la seconde ville de France mais l’une des villes ayant le plus de bâtiments insalubres en Europe. Les quartiers populaires sont complètement délaissés. Nous souhaitons la démission de Gaudin et de son équipe et / ou la mise sous tutelle de la ville de Marseille par l’état comme cela a déjà été le cas dans le passé. Gaudin est tellement une aberration pour nous, symbole de la corruption, de l’inefficacité et de la décadence, que nous voulions en faire l’objet principal de nos pancartes.

Vers 18h20, nous avons rejoint le cortège qui partait rue d’Aubagne, où ont eu lieu les effondrements, pour arriver une heure plus tard devant la Mairie principale, sur le Vieux Port. La manifestation s’est déroulée jusque-là dans le calme. Autour de la Mairie, une double rangée de rambardes métalliques, nous empêche de nous rapprocher. Le cortège s’arrête et des chants commencent à se faire entendre : « Gaudin dégage », « Gaudin démission », « Gaudin assassin ». Il faut bien comprendre que les attaques sont à l’encontre de Gaudin car c’est le premier représentant de la Mairie de Marseille. Après quelques dizaines de minutes, un groupe d’environ 20 personnes commence à tirer et soulever les grilles devant nous. Les CRS apparaissent et se mettent devant la Mairie. Ce groupe leurs lancent alors des pétards dessus. Puis se dispersent.

Un homme tenant une photo d’une des personnes décédées dans l’effondrement, se met alors devant la mairie, au niveau où les barricades sont maintenant tombées (cf photo) et s’assoie. Il est ensuite rejoint par une dizaine de personnes, qui s’assoient devant la Mairie dans le calme. 5 minutes plus tard, sans que l’on comprenne pourquoi, les CRS chargent ce groupe de personnes assises et balance des lacrymos, on s’en prend une à nos pieds et on se met à courir pour échapper au gaz. Après avoir sécher nos larmes, on s’aperçoit que les CRS ont coupé la manifestation en deux. Nous nous trouvons dans le peloton de tête. Au micro, les organisateurs appel au calme et demande aux CRS de laisser passer le gens. Après un certain temps, on nous permet de revenir devant la Mairie. On sent un peu de tension, mais les gens restent calmes. Les CRS se mettent en rang devant la manif et les manifestants devant décident de s’asseoir, les chants reprennent, on essaie de discuter avec les CRS pour les amener à réfléchir sur la situation. Certains médias étaient là et prenaient des témoignages. La foule est très mixte, des jeunes, des moins jeunes, des bobos, des moins bobos.

Après 45 minutes à attendre, un CRS enfile une écharpe tricolore, se met au milieu des autres CRS et crie « OBEISSANCE A LA LOI, DISPERSEZ VOUS ». A ce moment-là, ils commencent à charger toute la foule de manifestants devant eux. Quelqu’un lance un bâton sur un CRS. Une fille qui avait un bâton et qui témoignait devant les CRS juste avant et qui l’avait jeté depuis, se fait prendre à parti par les CRS, pensant que c’était elle l’auteur. Ils la passent à tabac, sans raison. Un camion de pompier qui s’arrête, et plusieurs manifestants appelent au secours car il y a un blessé, et scène surréaliste, les pompiers ne sortent pas du camion malgré les demandes des manifestants…

Les CRS se séparent ensuite en petits groupes et commencent à devenir très violents. Un des CRS appelle ses collègues pour aller « taper ». Un des CRS, particulièrement virulent, fait des moues avec sa bouche, nous regarde avec un sourire narquois et nous incite à venir le frapper, puis s’attarde sur un groupe qui attendait que ça se calme, les regarde et fonce sur eux matraques à la main, suivi par ses collègues. Suite à cela, d’autres CRS s’approchent, et commencent à vouloir taper tout le monde. Choqués, les serveurs du restaurant devant lequel on se tenait, d’autres manifestants et moi), nous disent de rentrer sous la verrière de la terrasse. Cela n’arrête pas les CRS qui essaient de nous saisir. Ils prennent ma pancarte et essaient de nous frapper et partent seulement après les menaces des serveurs, des clients et de nous qui étions en train de filmer.

Avec toute cette agitation, j’ai perdu ma sœur. Je reprends mes esprits, lui passe un coup de fil et me rends compte que les CRS faisaient la même chose au niveau de la Canebière où elle s’était réfugiée. On avait l’impression d’être encerclés, des gens pleuraient un peu partout, avec les fumigènes, les lacrymos et les sapins du marché de noël en feu, on avait l’impression d’être sur un terrain de guerre. On voulait juste manifester paisiblement, et on se retrouve encerclé car certaines personnes des forces de l’ordre n’ont qu’une envie : taper ! 

Après un moment d’attente, ça se calme et j’arrive à rejoindre la Canebière où je rejoins ma sœur pensant que c’était terminé. Mais non, je retrouve Laurie complètement bouleversée :

Laurie :

Je décide de partir du vieux port étant poursuivie par un barrage de CRS violent. Je remonte la Canebière, j'entends crier derrière moi et je vois tout le monde courir, je ne comprends pas trop puisque je vois que le barrage de CRS qui avance vers nous est quand même assez loin. Je vais comprendre par la suite que des personnes de la BAC en civil était dans la foule devant les CRS et ils frappaient avec leur matraque. 

A ce moment-là je ne sais pas encore qu'il y a la BAC. Voyant que les CRS sont loin et qu'il n'y a plus de manifestants dans la rue je m'arrête au coin d'une rue pour appeler mon frère. Il y avait deux jeunes filles pas très loin de moi qui ne semblaient pas avoir été à la manif, je pense qu'elles venaient d'arriver sur la Canebière par une petite rue perpendiculaire. Je suis donc au téléphone et soudain un homme tout en noir, sortie de nulle part se jette sur nous en nous frappant avec sa matraque et en nous criant de dégager (et il frappe avant de nous dire de "dégager"). Sur le coup j'ai cru que c'était quelqu’un qui pétait un plomb et voulait nous tuer. Je me mets donc à courir pour fuir et une femme de la BAC me frappe encore une fois d'un coup de matraque. Je vois alors le brassard et je comprends qui ils sont. Je réalise par la suite que je venais de me faire frapper sans aucune justification, alors que j'étais seule dans une rue, loin de la manifestation, mais ce qui m'a le plus choqué c'est la violence et la haine avec laquelle ces policiers m'ont frappée. Je retrouve ensuite des amis, sous le choc eux aussi. Ils ont tenté de fuir les violences mais n'ont pas réussi. Ils viennent de voir des policiers de la BAC frapper toutes personnes qui étaient dans la rue, manifestants ou pas, avec des coups de matraque au visage (les matraques semblent être en fer) , une fois les personnes à terre ils leur envoie du gaz dans les yeux. Un ami cri " il y a un blessé", le policier de la BAC lui répond " je m'en bats les couilles"...

Nous rentrons chez nous, extrêmement choqués par les agissements des forces de l’ordre sur la population. Impossible de dormir, Laurie et moi décidons donc d’écrire ce témoignage et de vous le partager. Même s’il ne vous intéresse pas, cela nous aura fait du bien d’écrire notre indignation ! merci pour votre lecture.

Les sicarios de la BAC avec leurs fameuses matraques téléscopiques (en acier, en effet)


Ils ont gazé, matraqué, blessé une foule immense qui exprimait une colère digne après les morts de la rue d'Aubagne. Une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes hurlait sa rage devant la mairie de Gaudin aux cris de "Gaudin, Chenoz ASSASSINS !!" "Gaudin démission" Gaudin en prison !" Des cris de juste colère, des pétards mais aucune violence quand les chiens de garde de Castaner ont gazé tout le monde ! les baqueux-voyous tabassaient dans l'ombre aux abords de la manif... Puis les grenades de désencerclement alors que les flics n'étaient nullement menacés. Devant la Samaritaine, un jeune homme salement touché juste en dessous de l'oeil par une de ces grenades dont on demande l'interdiction! Sa joue droite a triplé de volume, une jeune femme à ses côtés fait un malaise à cause des gaz. A plusieurs nous les mettons à l'abri en attente des pompiers. Les flics font refluer la foule en continuant à gazer sur la Canebière tandis que les baqueux-voyous font de la chasse à l'homme dans les ruelles de Noailles JUSQU’À LA RUE D'AUBAGNE ! (celle où les immeubles se sont effondrés) J'ai vu un homme d'un certain âge qui ne participait pas à la manif se faire gazer à bout portant par un baqueux, un autre roué de coups alors qu'il était à terre... Des gaz lacrymos dans la rue d'Aubagne !! Ces crevures n'ont aucune figure ni ne connaissent le respect ! Voilà avec quel mépris et quelles violences la préfecture aux ordres de Castaner a traité ce soir une population en deuil et en colère!! Le reste de la manif remontait vers La Plaine violemment coursée par les flics. Asphyxié par les gaz et ne pouvant plus courir comme à 20 ans, je rentre, épuisé, crachant mes poumons et la rage au ventre…


Marseille en direct : alors que le journaliste de Brut. Remy Buisine interviewait tranquillement depuis 45 minutes des manifestants (sa vidéo en fera foi), la meute policière a été lâchée pour protéger quoi ? - l'honneur perdu de celui qui les nourrit ? On se croirait dans la Roumanie de Ceaucescu ou l'Ukraine en perdition. Personne ne peut croire qu'il s'agit de défendre la paix ou la démocratie, mais un maire à vie croulant, au bout de 23 ans de règne.

Christian Perrot