inspirations & respirations
Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre.
Albert Camus, L’Envers et l’endroit
penser les plaies du monde
La provocation n'est plus ce qu'elle était. Naguère, elle servait à faire sortir le loup du bois, à obliger des personnes ou des opinions à se sentir attaquées et donc à monter au front. La provocation appelait le dialogue sous forme de conflit. Elle aimait l'excès, voire la mauvaise foi, mais obéissait à une stratégie indéniable. Provoquer les extrêmes, provoquer les mous, bref, remuer/bousculer.
L'essai de Sarah Schulmann : Le conflit n'est pas une agression, est un livre à plusieurs égards dérangeant, qui offre des réflexions nouvelles sur des questions délicates. Comment en sommes-nous arrivés à déléguer à l'État la question de la justice ? Comment les agresseurs se font-ils passer pour des victimes ?
art
Les podcasts des émissions de Daniel Arasse diffusés sur France Culture ainsi que la recherche philosophique à propos des arts de Jean-Luc Nancy nous invitent à réaffirmer l’espace d’une galerie comme étant un lieu où le visiteur peut prendre le temps de regarder la peinture et de la laisser se dévoiler, et à repenser la galerie comme un lieu d’enrichissement où chacun, en fonction de l’œuvre ou des œuvres qui retiennent son attention, vient nourrir ses sujets de réflexion, confronter sa pensée ou éclairer les enjeux de notre temps.
C’est une véritable investigation du fait divers que mène le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, sous le commissariat de son directeur Nicolas Surlapierre, pour livrer à l’automne prochain une vaste exposition temporaire qui réunit non moins de 80 artistes, de différents horizons et pratiques formelles. « Faits divers » vient de recevoir le label d’intérêt national, relevant ainsi non seulement l’originalité de son propos mais également le fort engagement du musée à s’adresser à tous les publics, initiés et néophytes.
Lors d’une visite à Gennevilliers pour préparer son exposition Tales of the Big River, Moffat Takadiwa apprend que la Seine qui borde la ville charrie depuis des siècles des marchandises en provenance du monde entier. Ce fleuve, il en est convaincu, garde dans son lit la mémoire des épices et des matières premières associées à l’aventure coloniale française. Or, les vestiges de la colonisation et leur impact sur les sociétés contemporaines sont des sujets récurrents dans l’œuvre de l’artiste.
Organisée dans le cadre de la manifestation Apichatpong Weerasethakul, l’exposition “Des lumières et des ombres” dévoile une vingtaine d’installations filmiques créées par le cinéaste et artiste visuel thaïlandais ces vingt dernières années — dont une spécifiquement réalisée pour cette occasion. En écho aux pièces qui jouent de la lumière et des formes, elle se présente comme une déambulation nocturne ponctuée des illuminations des images projetées.
images pas sages
La peinture de l’Iranienne Nazanin Pouyandeh nous a interpellés par sa traduction surréaliste d’une réalité du moment : la transposition mythologique au service du féminisme qui n’est pas sans évoquer Frida Khalo.
photo
Sous la nef du Grand Palais magnifiquement restauré, après cinq années de travaux gigantesques, s’est tenue, du 7 au 10 novembre, la 27 ème édition de la plus grande foire mondiale dédiée à la photographie; et avec quel succès! Jim Jarmush en était l’invité d’honneur. Avec ses 244 exposants, venant d’Afrique (4), d’Amérique du Nord (34), d’Amérique du Sud (6), d’Asie (16) et d’Europe Union Européenne (149) et hors UE (27) et ses 21 000 m2 d’expositions, dont 198 galeries et 46 éditeurs, ayant proposé quelques 400 signatures sur ces quatre jours, Paris Photo 2024, en son écrin de verre et d’acier, était l’évènement majeur de cette saison, évènement mondial autour de la Photographie.
Le Jeu de Paume met à l’honneur l’œuvre vibrante et singulière de Tina Barney, grande figure de la photographie américaine, dont le travail, principalement autour des relations de famille, a été très peu montré en France. Tina Barney. Family Ties, qui retrace 40 ans de la carrière de l’artiste, est la plus grande rétrospective européenne à lui être consacrée à ce jour.
Drag est le kabuki américain. La forme classique du théâtre japonais et son pendant américain sont tous deux des arts de la scène qui se caractérisent par des costumes exagérés, une narration stylisée et des acteurs qui brouillent les distinctions entre les sexes. En présentant ses sujets en noir et blanc, cette série de portraits cherche à révéler le côté plus calme de ces artistes dépouillés de leurs costumes colorés et de leurs personnalités exubérantes.
musique
Absent des bacs discographiques depuis 2007, Fernando Corona alias Murcof n’a pas pour autant disparu de la scène électronique toujours en quête de défis et d’aventures. Il focalise cette fois sur le son des B.O. des années 80 pour tracer de nouvelles routes. Envoi !
Chili, fin 2022. Vous écoutez une émission de radio diffusée par un groupe anarchiste de l'ombre appelé Los 0cho, qui a coupé les câbles Internet sous-marins et plongé le monde dans un avant-temps où les ondes FM sont le seul moyen de communication. L'émission de radio est diffusée par fragments, racontant l'histoire d'un enfant qui disparaît dans le désert. Il s'agit en fait d'une œuvre de l'artiste Salinas Hasbún, qui a mystérieusement disparu le 25 octobre de la même année, ne laissant qu'un fil d'Ariane de compositions en leur absence, à l'image des tristement célèbres disparitions de citoyens sous le régime de Pinochet dans les années 1970.
Nul ne doute qu’Underworld sache jouer sur le long terme. Alors qu'ils approchent de leur cinquième décennie en tant que groupe, Karl Hyde et Rick Smith poursuivent leur énorme projet Drift, qui leur a permis d'écrire près de sept heures de musique sans jamais perdre de vue leur objectif. Leur alchimie sur disque s'est épanouie tout au long de leurs aventures : Hyde laissant libre cours à sa poésie tandis que des visions toujours plus efficaces et picturales sont imaginées derrière lui.
in the mix
science-fiction
La saisie du langage par la machine, comme questionnement historique et futur de la notion d’intelligence, comme quête quasi métaphysique et comme enjeu socio-politique. Un somptueux roman à tiroirs et à portes dérobées.
livres
Il y aurait de nombreuses façons de commencer un article au sujet du nouveau livre de Jean-Luc Caizergues, Bébé rose (éd. Flammarion). On pourrait dire : Le nouveau livre d'un auteur rare, puisque sa dernière parution remonte à 2008.
Après les années du gaullisme puis celles de la jonction pompidolo-giscardienne, Xavier Boissel poursuit sa formidable saga policière à bas bruit dans les « fantastiques années fric » mitterrandiennes. Somptueux et incisif, comme à l’accoutumée et un peu plus.
J'ai donc attendu un an pour lire Triste Tigre de Neige Sinno, afin d'y entrer sans trop ressentir la pression et l'attention dont ce livre a bénéficié. C'est un livre exceptionnel, à bien des égards, car s'il tente de baliser un drame qui au-delà de ses particularités est universellement répandu, il n'en reste pas moins que, par sa forme et son ton, il atteint admirablement sa cible. Sa cible? Oui, autrement dit: nous, ceux et celles qui lisent Triste Tigre. Mais ce texte n'a rien d'une flèche, ou plutôt c'est une averse de flèches, comme autant de questions lancées dans le vide de notre sidération et de notre épouvante.
cinéma
30 ans déjà ! À l’occasion de cette édition anniversaire, on peut dresser un bilan très positif : Chéries-Chéris n’a cessé de gagner au fil des années en ambition, en notoriété et en succès public, au point de rassembler l’an dernier plus de 17 000 spectateurs.trices. Depuis ses débuts, et aujourd’hui plus que jamais peut-être, le cinéma joue un rôle essentiel dans nos regards sur nous-mêmes, nos émancipations, nos libérations individuelles et sociales. Un rôle fondamental pour nous projeter dans nos vies et les construire librement à notre mesure. Fidèle à lui-même, ce 30e Chéries-Chéris sera donc plus que jamais tourné vers l'avenir et les nouveaux territoires queers à explorer, à expérimenter. Cette année, nous aurons au programme 71 longs-métrages et 80 courts-métrages, la très grande majorité inédits, et venant des quatre coins du monde.
Pier Paolo Pasolini est un poète anthropophage, un cannibale dont le théorème a pour foyer originaire le ventre des affamés, les infâmes en haillons qui sont les humiliés et les offensés.
bd & mangas
La liberté a un prix et il est élevé nous raconte Mathieu Lauffray dans sa trilogie Raven chez Dargaud qui, sous couvert d’une chasse au trésor et de pleines pages débordantes d’aventure et de nature luxuriante, vient nous proposer quelques pistes de réflexion sur nos propres choix. Avec lui, on parlera des thématiques, mais aussi de technique, en explorant toutes les phases de son travail.
Pas de kwak pour Camille Potte qui débarque avec un premier album peuplé de grenouilles mélomanes, d’andouilles bavardes, de princesses rebelles et de sorcières caractérielles. En s’amusant avec les codes du conte de fées et de l’imaginaire médiéval, l’autrice s’amuse à questionner notre époque à travers les questionnements ou révoltes de ses personnages.
Sorti en avril dernier, Le Dieu-Fauve a marqué les esprits par son approche singulière de l’heroic fantasy, où la beauté graphique répond à la violence de cette narration à 4 voix. Pour suivre les traces du Dieu-Fauve, il fallait bien une interview-fleuve avec ses auteurs.
architecture
Ce n’est plus une goutte froide, c’est une douche glacée et, autant le dire tout de suite, tous les modèles de ville à 2050, voire même à 2030 – les écoquartiers biosourcés par exemple, agités fièrement pour masquer l’impuissance et l’incompétence – sont déjà caduques.
Vous avez aimé le télétravail, seul gain social issu du COVID ? Vous allez adorer retourner à l’office à coups de pied dans le derrière. En effet, la crise de l’immobilier de bureau est telle que pour le gouvernement français il importe désormais, quoiqu’il en coûte d’un nouvel art de vivre, de sauver le secteur à toute vitesse et, plus urgent encore, de sauver La Défense, fleuron parisiano-français d’un centre d’affaires qui craint pour son avenir à plus ou moins court terme.
style & design
Publié par Artisan, Crafted Kinship : Inside the Creative Practices of Contemporary Black Caribbean Makers se penche sur un éventail de pratiques à multiples facettes influencées par la diaspora. Qu'il s'agisse de liens avec la terre et la mémoire ou d'histoires coloniales et d'origines africaines, chaque créateur partage un aperçu de ses pratiques, de son histoire et de sa communauté par le biais d'entretiens perspicaces. 400 pages de découvertes.
Le designer et ébéniste Phillip Keefe utilise des techniques traditionnelles pour réaliser ses meubles arthropodes. Cet artiste basé à Chicago combine des techniques traditionnelles de sculpture à la main et de menuiserie en bois pour sculpter des pièces évoquant des araignées, des crabes et d’autres créatures.
La Nuit, c’est un magazine culturel multimédia de 200 pages qui profite des possibilités offertes par l’internet pour faire de chaque numéro un voyage. Elle se lit comme un magazine, en pages plein écran. Ces numéros sont réservés aux abonnés. Pour vous en donner un aperçu, quelques pages du numéro 1.
nous
Tout journal est politique. Celui que nous faisons ne se cache pas cette évidence. Son existence, qui n'était pas donnée, car personne ne nous a invités, est déjà en elle-même un fait politique. Nous faisons irruption. Nous entrons par effraction dans le champ bien gardé des opinions bonnes à entendre. Sachant qu'exister, c'est résister, nous avons fait le choix d'exister. Or choisir est l'acte politique même. Choisir avec qui on vit et travaille est politique. Choisir l'égalité des salaires est politique. Dénoncer l'injustice est politique. Accepter (et accepter réellement) de donner la parole aux autres est politique. Proposer des haïkus dans nos éphémérides est politique. Mettre le sort d'un journal dans les mains de ses lecteurs est politique. Ce qui implique à nos yeux de répondre avant toute chose à des questions légitimes sur l'origine de ce projet, notre financement, nos objectifs, l'idée que nous faisons de notre travail.