Comment aborder des ruines circulaires au Liban avec Orianne Ciantar Olive
Certains livres de photos sont détaillés par leurs exercices directs de construction d'histoires. En revanche, d'autres demandent au spectateur de les lire de manière holistique comme un environnement, une scène dans laquelle les idées sont distribuées, mais avec moins d'absolus quant à leur nature. Des allusions sont faites, et certaines images portent la charge conceptuelle de ce que le communiqué de presse suggère comme manière de lire un tel livre.
Les livres de photos qui m'intéressent le plus en 2024 sont des livres qui permettent au lecteur de rassembler des indices et de lire le terrain de l'imagerie dans leur séquence, mais ce ne sont pas des livres qui m'imposent la façon dont je dois interpréter le travail. En effet, je dois pouvoir entrer dans le monde que l'artiste a créé et communier avec lui à travers ses images. Il doit y avoir une certaine dose de lecture autorisée, sinon il ne s'agit pas d'une conversation mais d'un monologue. Franchement, si je voulais qu'on me parle, et non qu'on communique avec moi, je lirais des livres de non-fiction (c'est d'ailleurs ce que je fais) et j'utiliserais un autre ressort mental.
Ce qui est excellent dans les livres photos et pourquoi ils sont devenus un support important, c'est qu'ils permettent à deux esprits de se rencontrer au cours de la lecture du livre, même si la narration est forcée. L'expérience de construction du monde qu'offre un livre est particulièrement attrayante en 2024, car nous ne sommes pas obligés de croire les images en tant que telles, mais nous sommes autorisés à tisser nos pensées et notre compréhension de ces images à plusieurs reprises. Nous n'avons pas à demander à une seule image de porter la charge de la véracité car, par association, nous pouvons conditionner nos réponses avec plusieurs possibilités angulaires à l'esprit qui sont autorisées à se développer autant à partir de ce qui est sur la page que de ce qu'il y a entre elles. Il y a aussi la tactilité et l'approximation de nos yeux et la façon dont nous pouvons lire une œuvre dans un livre différemment de celle sur un mur, seul et avec le temps à notre avantage. Les lectures répétées nous permettent également de voir des choses que nous n'avions pas vues auparavant et de revenir souvent dans le monde qui se trouve à l'intérieur des pages.
Dans le cas du récent livre d'Orianne Ciantar Olive, Les Ruines Circulaires, publié par Dunes Editions, la construction du monde que l'artiste a facilitée oscille, selon moi, entre les tropes du photojournalisme et du cinéma. Le livre est composé de photographies en couleur et en noir et blanc. Il s'agit d'une médiation sur le Liban contemporain, avec un élément de science-fiction utilisé dans la cinématographie qui se veut futuriste. Cet élément est relégué aux images en couleur qui présentent une dominante orange, probablement due à l'utilisation d'un filtre, mais qui simulent un paysage extraterrestre dans l'esprit de Blade Runner 2049 et de certains des autres films de Denis Villeneauve. C'est particulièrement évident dans plusieurs scènes qui mettent en scène le personnage de Ryan Gosling alors qu'il s'approche du paysage urbain pour rencontrer Deckard. Le traitement de Nabil par Cintar Olive, son anadrome du Liban, est apocalyptique. Il suggère une autre ligne de temps ou une autre réalité dans laquelle voir le pays. Tout ceci a été sculpté avant l'invasion actuelle du Liban par Israël, avec ses incroyables bombardements massifs sur ce pays. L'utilisation de la répétition dans la séquence finale des images sanglantes et gélatineuses du soleil donne également une impression de grandiloquence. Je me souviens d'images du 11 septembre sur la vue de la rue qui sont également déclenchées lorsque je vois ces images. Tout est flou, déformé, mais aussi obscur.
Les photographies en noir et blanc du livre ressemblent à des aperçus du Liban en passant. Elles ajoutent un mouvement aux images qui ressemblent à des photographies de guerre ou à du photojournalisme. Je reviens toujours à Gilles Peress Telex Iran lorsque je pense à ces images. Il y a une atmosphère fascinante entre ces deux mondes de lutte et de fantaisie. Cette atmosphère est considérablement renforcée par l'utilisation de pages de garde qui ouvrent le monde à lire dans une simulation d'écran large de l'œuvre. À cela s'ajoute un texte très sombre et triste, en français et en anglais, qui transmet, presque comme un script, car il se lit comme une méditation sur les images, mais de manière lyrique, une synthèse qui rend tous les éléments techniques et visuels synchronisés et complets. Chaque étape du processus a été franchie par l'artiste, le concepteur et l'éditeur afin de créer un objet holistique qui se situe entre les mondes de la science-fiction, du reportage contemporain et de la cinématographie.
En résumé, il s'agit d'un livre fascinant qui demande au lecteur de naviguer dans le monde périlleux du Moyen-Orient contemporain, mais qui lui demande de le faire à travers la lentille d'une possibilité, d'un futur, ce qui implique une anxiété implicite et non prémonitoire à l'égard de questions politiques authentiques. En lisant ce billet du futur, j'espère que les lecteurs cherchant plus d'informations se reporteront à l'époque où le livre a été produit et découvriront les réalités du Liban à la fin de l'année 2024. Il s'agit d'un livre incroyable qui mélange avec succès plusieurs éléments, à première vue contradictoires, pour dessiner un monde désordonné dans lequel les revendications visionnaires du présent sont examinées à travers les domaines du possible. Il n'est pas nécessaire de s'intéresser au photojournalisme, au cinéma ou à la cinématographie pour comprendre la pression implicite exercée par ce livre.
Brad Feuerhelm pour ASX, le 28/10/2024 édité par la rédaction
Orianne Ciantar–Olive - Les Ruines Circulaires - Dunes Editions