Les fantômes garage des Liminanas sortent au grand jour
Grands artilleurs d'un rock fantasmé par la critique d'ici dans les 70's, les Liminanas de Perpignan sont les précieux dandies d'un pré carré dont les bornes seraient les Pretty Things, Count Five, New Order et Jesus and Mary Chain. Le bruit et la fourrure, pour résumer rapidos. Bonne frappe et mauvais esprit (de rigueur.)
Shadow People, s’ouvre… sur Ouverture ! Il n’en faut pas moins pour évoquer ce disque des Shadows, tout droit sortit du coffret que mon père collectionnait. Un drôle de groupe de Guitar héros des années soixante que les moins de 20 ans… (mais il n’est pas de bon ton de citer cet artiste qui a la mémoire très courte). Ils jouaient, ces 4 autres garçons dans le vent, un rock-twist, hypnotique, psychédélique, déjà/jamais entendu - qui, plus tard, allait irriguer la scène rock japonaise tout au long des 60's.. J’aurai aussi pu leur demander si « Shadow People » était un clin d’œil à ce rock-là, un peu désuet mais terriblement populaire. Anyway !
Il y a dans tous vos titres, une sorte de ritournelle d’accords que l’on pourrait qualifier de répétitive, sérielle, en particulier dans ton jeu Lionel. Mais aussi dans le jeu de batterie de Marie qui ne bouge quasiment pas, mais donne à l’ensemble une intensité hypnotique à chacun des titres et offre une dimension expérimentale à l’écoute. Etes-vous sensible à cette dimension, la recherchez-vous, la travaillez-vous ?
Lionel : "Oui c'est exactement ce que nous essayons de faire. Le riff et la répétition. Et peut-être une forme de transe si la sauce prend, ce qui n'est pas forcement le cas à chaque fois. Tu retrouves ce type d’arrangement chez les Gories et donc dans le blues roots, dans le Velvet et la musique psychédélique. Dans Bo Diddley et la musique tribale. Et ça nous arrange bien, nous ne savons pas jouer autrement!"
Alors que nous les suivions depuis déjà pas mal de temps, - on n’a pas attendu que le monde en parle pour les aimer follement et les suivre en concert entre La Boule Noire et La Maroquinerie -, The Liminanas ont ressorti chez Because, dans une totale liberté créatrice, tous les titres composés depuis leurs débuts. Et c'est peu dire qu’ils sont prolixes… Car, si leur histoire musicale/reconnaissance débute chez nos amis yankees, c’est en France, les pieds dans l'eau que leur énergie se déploie, pour des séances d’enregistrement sans aucune limite. Le temps, on le sait, est le meilleur ami des artistes.
Comment gérez-vous la « production-distribution » et ses impératifs et la création ?
Lionel : " La seule solution est de maitriser un minimum les outils de productions et pour plusieurs raisons. D’abord c’est la liberté, vous n'êtes dépendant de personne et vous pouvez travailler avec le budget chips de n’importe qu’elle chanteuse de R'n'B. Et ce, quand vous le désirez. On a une méthode simple, on enregistre tout le temps et en général deux fois plus de démos qu’il n'en faut pour faire un album.Ce qui nous permet d’aller dans la direction que nous voulons à chaque fois. Et de garder une base de titre pour démarrer l’enregistrement du disque suivant. Quand on a signé chez Because, on a flippé parce qu’on avait jamais eu de contrat à respecter. L’obligation de fournir un disque à une date X me terrorisait. Maintenant, on est plus détendu. Ceci dit, personne ne nous a jamais mis la moindre pression, on se la colle tout seul."
Au gré des rencontres, Marie & Lionel vont ciseler 10 morceaux, d’un rock psyché pointu, lettré et aussi échevelé qu’élégant, dans une débauche de guitare aux riffs répétitifs, qui vous ferait passer d’un état de conscience à celui d’une transe sous l’effet d’une drogue qu'on n’a même pas besoin de prendre. Ici l’addiction se savoure dans l’alliance parfaite entre le rythme imperturbable de Marie et les riffs imparables de Lionel à la guitare.
Une question plus technique Lionel. Tu utilises énormément la fuzz sur scène, elle me semble moins présente sur les enregistrements, comme je sais que vous travaillez à la maison, c’est pour ne pas avoir de soucis avec les voisins ? Ou pour garder une dimension plus épique en concert ? (Souvenir d’acouphène délicieuse à la Maroquinerie il y a deux ans.)
Lionel : "Pardon pour les acouphènes. Et oui, tu nous a démasqué, ma voisine a 88 ans. Donc par la force des choses, on y va mollo. Je n’enregistre les fuzz qu'entre 11h et 15h et pas super fort. Mais le volume d’enregistrement n’a pas beaucoup d’importance en réalité. Et puis maintenant elle a l’habitude. Poison Ivy disait qu’elle enregistrait les disque des Cramps avec de petits amplis pour chopper le son... Ensuite, pour de sombres histoires de fréquence, la fuzz fait plus de dégâts live que sur disques en général. Ou alors il faut faire Funhouse ce que nous ne savons pas faire. J'aime bien l’idée que le concert soit vraiment très différent du disque. Il n'y a rien qui me gonfle plus que les concerts qui proposent un sample de l'album."
Alors Shadow People déjà l’album incontournable de 2018 ? Mieux que ça : on ne voit pas comment vous avez fait sans eux depuis tout ce temps! Et par chance, tout se rattrape surtout quand on sait repartir. Il faudra passer au travers du bruit assourdissant de tout ceux qui se réveillent seulement maintenant pour apprécier toute les finesses et subtilités d’une Bande Originale à elle toute seule de Pink Flamingos, Puis, ne pas s’arrêter sur le titre que vous allez forcément entendre et qui donne le titre à l’album, parce qu’il y a Emmanuelle Seigner… Cet album, c’est comme ces albums d’avant, lorsqu’ils étaient en vinyle et qu’ils tournaient sur nos platines. On les usaient jusqu’à en tirer leur suc. (et ce suc de Bertrand Belin à Peter Hook, les featuring, comme nous confiera Lionel, qui sont le témoins de belles rencontres et non pas l’effet d’une mode, ou d’une habitude).
Vous avez toujours fait des « featuring » sur vos titres. Est-ce votre rapport affectif au cinéma qui vous a donner envie de travailler avec Emmanuelle Seigner ? Est-ce une rencontre ? Ou juste une envie purement esthétique (la voix, la posture…) ? Quant à Bertrand Belin qui vient poser sa voix, est-ce sa dimension de conteur qui vous a séduit ou là aussi, une rencontre qui se concrétise par une collaboration ?
Lionel : "Ce n’est jamais pour des raisons de postures ou d'esthétique, ça c’est certain. Ca ne nous intéresse pas du tout. Nos disques sont plein des rencontres que l’on a pu faire dans le coin, en tournée, de proches aussi. Dans le cas d’Emmanuelle, on a été présenté par un ami commun, elle est venue à la maison et on a enregistré après avoir déjeuné. On aime beaucoup Emmanuelle, c'est quelqu’un de bien. Pour Bertrand, c était en tournée en Australie l’année dernière, ça a démarré par une bonne galère «Spinal tapienne» sur le trajet à l’aller. Ca nous a rapproché ! Et ensuite un vrai flash sur leurs concerts australiens: l’écriture, la voix et le style. «Dimanche» la chanson qu’a écrit Bertrand est ma préférée du disque."
Et vous irez alors jusqu’au Trois Bancs, une sorte de délire, comme si David Lynch était aux manettes et que ce « very bad trip » vous tirait à jamais de votre torpeur auditive; usé que vous êtes par les sons mornes de votre poste de radio. Rien ne vaut les choix que l’on fait, et en ce jeudi, il faut bien le dire, on vous offre le choix à faire comme un présent qui à bien plus que de l’avenir. C’est « De La Part Des Copains ». Une incitation à ne pas lâcher la proie pour l’ombre, mais à la saisir et à la croquer toutes oreilles dehors!
Trois Bancs est carrément le titre qui me renverse (tout le monde s’en fout mais…), il semble être un rêve éveillé ou un cauchemar bien psyché (cela dépend de quel côté on se place), avec ce que je prend pour un chien aux abois qui donne un sens chamanique à ce morceau : Tu nous racontes ? (ce que tu veux)
Lionel : "D’abord ça me fais vraiment plaisir! C’est une chanson tordue. Trois bancs est l’histoire d’un bad Trip, de ce type d’intoxication aux plantes qui provoque de longues hallucinations et laisse des séquelles. Le personnage passe un très mauvais moment et se réveille entouré par ses proches qui ne comprennent pas ce qui a pu le mettre dans un état pareil. Son coeur a failli lâcher. On a des copains, dont un en particulier, qui ne sont jamais revenus de ce genre d’excursion. Je n ai plus aucune attirance pour les drogues psychédéliques. Ni pour la drogue en général. En partie à cause de ce genre d’histoire."
Lionel, tu es super présent sur les albums… Mais je ne t’ai encore jamais vu au micro sur scène. Pour quelles raisons ?
Lionel : "Sur les albums j’enregistre des talk over. L'idée est de raconter une histoire, comme dans les histoires lues de mon enfance, celles du «petit Menestrel» ou très modestement de Serge Gainsbourg sur certains albums. C’est compliqué de refaire ça sur scène parce qu’on joue très fort et qu’on ne comprend rien a ce que je raconte. on a essayé plusieurs fois avec «je ne suis pas très drogue» et c’était catastrophique... Bon et puis ça m’arrange bien, ça me fait flipper et je chante comme une truelle. En concert je préfère faire du boucan avec ma guitare."
On sent dans la musique des Liminanas une sorte de paroxysme, une idée de fin du monde. Mais avec cette lueur d’espoir (perdu ?) qui nous fait fixer l’horizon. Et ces rengaines, qui font dégainer une rage dont on ne se déferait pas. Une ultime chance de se voir encore vivant parmi les décombres. Quelque chose de l’Ouest, dont les héros se jetteraient corps et biens, bouches pleines de poussières, mais les poings encore serrés. Puis dans un dernier élan, une ritournelle en boucle viendrait sonner le glas d’une issue déjà écrite, sans que l’on puisse écrire The End. L’album sonne comme un film à sketch. Un recueil de nouvelles, si l’on voulait le comparer à la littérature. Tu t’accroches au fil d’ariane tendue par Marie et il te sauve des pièces de bois pourraient qui se dérobent au-dessus de la falaise infranchissable. Dans cette suite psychédélique, la musique discours bien plus que les paroles. C’est en cela que The Liminanas forment un groupe garage, comme les Cramps qui bardaient leur musique de références Pulp, séries Z et autres imageries osées des années 50. L’extravagance du duo catalan vient de la fusion de cette guitare fuzzienne et de ce battement qui marque tous les temps. En concert en particulier, l’énergie et le son vous font passer de l’autre côté. Un transport sans escale, une téléportation aussi mélodique que puissante. On vous le disait en ouverture : Le bruit et la fourrure, la bonne frappe et le mauvais esprit… What Else ?
Richard Maniere le 18/01/18
Shadow People, The Liminanas - Because Music
Concert au Trianon le 29/02/18