La Villa Vassilieff met un coup de projo sur l'Akademia de Raymond Duncan, frère d'Isadora
Fréquentée par Alan Stivell, filmée par Orson Welles, l'intrigante et utopique Akademia fait l'objet d'une exposition à la Villa Vassilieff en ce moment-même. Mélange de théorie socialiste et d'accomplissement de soi dans le travail, retour sur une utopie de 70 ans d'âge.
Etrange prophète, Raymond Ducan a développé en 1891 (à 17 ans) une théorie du mouvement nommée « kinematic — a remarkable synthesis of the movements of labor and of daily life » selon laquelle la finalité du travail réside dans l'épanouissement du travailleur et non dans sa production ou son revenu.
En 1898, il rencontre à Paris le poète itinérant allemand Gustav Graser, prophète d'une vie libre et proche à la nature. Raymond devient son disciple et répand ses idées : développer tous ses dons en harmonie, produire tout de ses propres mains, vivre une existence dansante. Sa théorie sur le mouvement le conduit à collaborer étroitement avec sa sœur Isadora. Très influencé par la culture de la Grèce antique, il vit avec sa femme grecque, Pénélope Sikelianou, à proximité d'Athènes, dans une villa meublée à la manière des anciens Grecs. Il fabrique lui-même ses meubles, ses poteries, ses tapisseries et ses tenues à l'antique, qu'il porte chez lui comme lors de ses voyages, notamment à Berlin en 1907.
En 1909, Raymond et Pénélope entament aux États-Unis une série de spectacles de chants et de danses traditionnels grecques, en donnant également des conférences et des cours. Ils passent ensuite plusieurs mois chez les Indiens Klamath sur la côte nord-ouest des États-Unis. En 1911, de retour à Paris, Raymond et Penelope fondent une école : l'Akademia.
Duncan trouve aussi le temps de composer des poèmes et des pièces de théâtre, d'éditer des journaux et articles exposant sa philosophie, qu'il nomme « l'actionalisme ». Il imprime lui-même ses ouvrages en se servant de caractères typographiques de sa fabrication et d'encre à base de murex. Son but ultime n'est rien d'autre qu'une « complète technique de vie » synthétisant travail, art et exercice physique au service de l'accomplissement de l'homme.
À 73 ans, Raymond Duncan propose de créer la ville de « New Paris York » a une latitude de 45 N et une longitude de 36 W, soit au milieu de l'océan Atlantique, comme symbole de coopération culturelle internationale. Fun, isn't it ?
L'Akadémia, située au 31 rue de Seine à Paris, est basée sur l'idée d'académie platonicienne et se veut « un lieu ouvert à toutes les innovations en théâtre, littérature, musique et arts plastiques ». Duncan et son entourage y dispensent gratuitement des cours de danse, de beaux-arts et d'artisanat. Il ouvre par la suite à Londres une deuxième école similaire. Parmi les artistes réputés qui sont passés là, on peut signaler qu'Alan Stivell, quand il était enfant, dans les années 1950, a joué de la harpe celtique plusieurs fois pour le public de l'Akademia.
L'Akadémia de Paris continua ses activités après la mort de Raymond Duncan, grâce au travail de sa seconde épouse, jusqu'aux années 1970. L'immeuble abritait, entre autres une galerie d'art, un magasin, un atelier d'imprimerie, avec un amphithéâtre dans la cour intérieure. Une plaque orne encore la façade de l'immeuble.
Une partie de l'activité de Raymond Duncan est visible dans le reportage documentaire d'Orson Welles, Around the World with Orson Welles: Saint-Germain-des-Prés.
L’exposition « Akademia : Performing Life » (« Akademia : accomplir sa vie ») se penche sur les récits et la philosophie émanant de l’Akademia, une communauté et une école, qui, des années 1910 aux années 1970, proposait des cours de danse, d’art et d’artisanat, accueillait une galerie d’art, une maison d’édition et montait des pièces de théâtre et de danse. Fondée par Raymond Duncan, danseur et artiste américain, et co-dirigée à partir de 1920 par Aia Bertrand, danseuse et écrivaine lettone, l’Akademia fut une incarnation de leur syncrétisme idéologique qui mêlait principes socialistes, désir de raviver la Grèce antique et un mode de vie « naturel » letton.
À travers la présentation d’archives, d’œuvres contemporaines et d’objets produits par l’Akademia, l’exposition souhaite explorer les notions et principes incarnés à ses débuts comme des potentielles alternatives aux modèles traditionnels d’éducation, de création et de vie communautaire, tout en questionnant d'un même mouvement, leurs parts d’ombre. Utopiste, letton un jour seulement ?
Jean-Pierre Simard le 17/01/18
Akademia : Performing Life -> 24 Mars 2018
Villa Vassilieff 21, avenue du Maine 75015 Paris