Polychronies (3) : Comme écho au passé, par Marie Cosnay & Vincent Houdin

A Jane Sautière et à Madeleine Pétricorena

Si ce n’est pas moi c’est quelqu’un qui vaut autant que moi
si un mot ici touche à mes frontières, je le laisse y toucher
si la Bohême est encore au bord de la mer, de nouveau je crois à la mer
et si je crois à la mer, alors / j’ai espoir en la terre. 

si c’est moi c’est tout un chacun, qui est autant que moi
je ne veux plus rien pour moi, je veux toucher le fond

au fond, c’est à dire en la mer, je retrouverai la Bohême
ayant touché le fond, je m’éveille paisiblement
ressurgissant du fond, je sais maintenant // et plus rien ne me perd

venez à moi, vous tous, Bohémiens, navigateurs, filles des ports et navires
jamais ancrés // Ne voulez-vous pas être bohémiens, vous tous ? 

(Ingeboch Bachman)


Le 4 septembre, il y a 80 ans, des milliers d’habitants d’Irun ont fui leur ville incendiée par les troupes franquistes. 
Par le pont Avenida, des milliers d’habitants d’Irun ont fui les troupes franquistes. 
Pour la plupart, c’étaient des vieillards, des femmes et des enfants ; les hommes valides étaient au combat. Ce pont est celui du sang, des larmes et de l’exode ; c’est aussi / le pont de la liberté, a dit Kotte Ecenarro, maire d’Hendaye.

Sur ce pont 10.000 réfugiés républicains ont franchi la frontière, Hendaye comptait 4000 habitants.
Sur ce pont 10.000 réfugiés ont franchi la frontière, Hendaye comptait  4000 habitants. 


en cette journée
journée mondiale des réfugiés
en cette journée
journée mondiale
journée des réfugiés
je vais te dire : 
si 10.000 réfugiés républicains
sont accueillis par 4000 habitants
si 10.000 réfugiés
peuvent compter
si 10.000 réfugiés
venus de guerre
peuvent compter
si 10.000 peuvent compter
sur nos
sur nos 4000
solidarités
aujourd’hui
Hendaye 17.300
habitants ? 17.300
Hendaye accueille
7 réfugiés
7
Hendaye 17.300
accueille 7
réfugiés
7
pour
17.300. 
quand
10.000
pour
4000. 


L’accueil a fait débat, c’est vrai ; il y avait pourtant une volonté, une volonté comme écho au passé, l’accueil a fait débat, certains souhaitaient des chrétiens c’est vrai mais on a dit c’est important d’accueillir qui arrive, accueillir qui arrive, accueillir comme écho au passé, l’accueil a fait débat, c’est vrai. 

On a entendu que dans un de ces villages à solidarité devant la mère de famille accueillie une délégation s’est présentée, a demandé qu’elle veuille bien, veuille bien, ôter son foulard, veuille bien, t’aurais pas vu ça y a un an, surtout dans ces villages à solidarité, // tu m’accueilles m’invites et me demandes de me décoiffer ? J’ai pas bien compris, là. 

On a pas bien compris, là. 
On est un peu tourneboulés, tu crois pas ?

Venez à moi, gens de Bohême.
Venez à moi, navigateurs navigatrices filles des ports navires


Pendant ce temps (bis)
L’hyper président de la région Auvergne Rhône Alpes s’agite - 1784 migrants droit venus de Calais vont être accueillis dans sa région de 8 millions d’habitants. 
Hyper président de Région de 8 millions d’habitants
Tu n’as pas compris ou plutôt
Te plais à embrouiller ton monde mais ton monde va résister.
Tu n’as pas compris …

Que 1784 exilés vont être dans ton hyper région de 8 millions d’habitants  très provisoirement dépannées
dans tes    
VVF    
dans tes   
CCAS    
dans tes   
DDASS   
dans tes    
sigles libres    
dans l’hiver    
de ta Région
Avant
D’éventuelles demandes d’asile
Avant
les très certains refus d’asile
refus
A 80%.


Pendant ce temps (bis)
En Sardaigne une école catholique sous pression des parents met en place avant d’y renoncer des toilettes séparées pour enfants  /récemment secourus en Méditerranée. 
Par peur des maladies et malgré certificats médicaux parfaits. 
Pendant ce temps
Village d’Allés, grande agitation, l’installation de 50 migrants / divise la population
Pendant ce temps
Village d’Arès ? A dit non aux migrants  ! Sous applaudissement de la population 


Pendant ce temps

Pendant ce temps
Vous
Pendant ce temps vous
avez fait un choix
Navires jamais ancrés filles de Bohême navigatrices vous  qui faites les gestes de rompre le pain le partager verser le lait vous / qui préparez le thé ouvrez vos terrasses prêtez vos jardins vos salons vous
Comme écho au passé
Comme un peu de fierté
Si ce n’est pas moi c’est quelqu’un qui vaut comme moi
Si un mot touche à mes frontières, je le laisse y toucher
Vous
Qui dites : c’est pas un choix, juste un geste
Si je suis là c’est comme ça, si je l’ai tu l’as
Vous
Aux gens qui vous insultent à force de paroles tordues d’hyper présidents qui les excitent
qui vous insultent parce que vous nourrissez sur le trottoir
Sur vos terrasses
sur vos salons
Ceux qui porteront
A vos régions
Crasse et maladie
Vous
A ceux qui vous insultent
Répondez
Par la joie que ça fait
Le sacré du pain
A partager


et tu recules, triste sire bientôt étouffé sous 8 millions d’habitants
qui vont te résister
comme écho au passé
écho à ce passé qui résistait
plutôt qu’à l’autre que t’excites. 

Marie Cosnay

Marie COSNAY est professeure de lettres classiques et écrivaine. Elle a publié notamment Vie de HB (Nous, 2016), Cordelia la guerre (éditions de l'Ogre, 2015), À notre Humanité (Quidam éditeur, 2012), Villa Chagrin (Verdier, 2006) et Que s'est-il passé ? (Cheyne éditeur, 2003). Elle fait partie depuis cet été des chroniqueuses/chroniqueurs de L'Autre Quotidien. Vous pouvez la retrouver sur Facebook.