Zappa 2020, du neuf sous le soleil de Frank, en DVD et CD's.
Construit avec les archives familiales, ce film de plus deux heures d’Alex Winter approche enfin le personnage de Frank Zappa dans ses contradictions géniales, en en restituant les faces cachées. Bonheur de visionnage que je conseille à tous, on y voit le parcours et les témoignages de nombreux personnages de sa galaxie. A mon avis, le plus beau film qui lui a été consacré.
On trouve ici toutes les raisons de croire en son génie contrarié de compositeur, obligé de jouer pour pouvoir faire tourner le groupe et enregistrer une partie de son œuvre, en bataillant avec des labels jamais au fait de son évolution musicale. Du milieu des années 60 jusqu’à fin 1993 et son décès, il n’aura eu de cesse de lutter contre le temps pour composer, jouer et reprendre les enregistrements jusqu’à ce qu’ils sonnent comme il en avait envie ; d’où le nombre élevé de prises et de différentes versions de certains morceaux (62 albums de son vivant et 53 qui suivront) . A ce titre, essayez de trouver la version originale de We’re Only It For The Money ( l’album qui défouraille sur le Sergent Pepper’s des Beatles) que Warner avait mutilé, aussi bien au niveau du graphisme que du contenu, par peur des représailles des avocats d’Apple.
Alex Winter a passé 6 ans à fabriquer Zappa, avec l'approbation de la succession Zappa, travaillant avec Gail, la veuve du musicien pour clearer les droits musicaux et les détails de la vie. Comme le dit Winter, après un si long effort, il est épuisé. Avec un accès illimité à la fiducie Zappa et à toutes les images d'archives, son Zappa explore la vie privée derrière la gigantesque carrière musicale qui n'a jamais reculé devant les turbulences politiques de son époque. Winter y a aussi orchestré les apparitions de la veuve de Frank, Gail Zappa, et de plusieurs des collaborateurs musicaux de Frank, dont Mike Keneally, Ian Underwood, Steve Vai, Pamela Des Barres, Bunk Gardner, David Harrington, Scott Thunes, Ruth Underwood, Ray White et d'autres, même si on regrette de n’y voir, sauf en photo, que très peu Don Van Vliet, le Captain Beefheart, pourtant compagnon au long terme…
Le tour de force est d’avoir pris Zappa lui-même comme commentateur, comme le fait remarquer J-J Birgé dans le papier qu’il lui consacre sur son blog ici . Mais à mon humble avis, ce qu’on perçoit le mieux à l’image c’est la folie entourant les premières années des Mothers of Invetion avant que Zappa, voyant le souffle de l’époque se barrer en couilles, ne rebaptise le projet Frank Zappa and the Mothers, ne lésinant jamais à aller chercher le musicien pour produire le son qu’il a en tête, en demandant, comme Mingus, l’impossible à chacun. Là, c’est de la pure folie qui joue du théâtre dada, du rock barré à base de Doo-Woop, de jazz et du contemporain à la façon de son maître, Varèse. inutile de dire que le creuset a inspiré des foules de gens, dont ici le premier album de Martin Circus que Zappa appréciait beaucoup…
Figure incontournable des freaks de Los Angeles et véritable icône de la contre-culture, il a vraiment articulé un discours politique qui l’a fait détester des autorités ne s’est jamais privé de tout comentaire acerbe à l’écart des grandes têtes molles. Du genre, invité à une intervention télévisée avec un retraité militaire qui lui demandait si le fait d’avoir les cheveux long faisait de lui une fille, il avait répondu, droit dans le yeux, que ce n’était pas parce qu’il avait lui, une jambe de bois, qu’il le prenait pour une table…
On en revient au compositeur contrarié qui écrivait tous les jours et tout le temps, histoire de laisser sa trace dans l’histoire et, de rock en jazz en passant par l’inévitable Boulez, la figure singulière de Frank Vincent Zappa surgit : génial par moment, irritable toujours, méchant des fois, concerné tout le temps et traversant enfin - mort - le temps de tout ce qu’il a profilé en donnant ici des inserts jamais vus. Grand !
Le coffret qui accompagne le film n’offre que quelques inédits et raretés, mais personne ne se plaindra du fait qu’articulé ainsi, ça a une autre tronche. Et pour en donner exactement l’actualité en Macronie (inférieure), tout à fait le genre de truc que nos notables de Province au pouvoir détestent, l’intelligence qui jamais ne se soumet. Rien que pour ça …
Jean-Pierre Simard le 1/12/2020
Alex Winter - Zappa - Universal
Zappa - Original Motion Picture Soundtrack - Universal