"Archaeopteryx", le retour de Mozart en verres miroir de Monolake
Avec son titre illustrant un volatile mi-oiseau mi-dinosaure du Monde englouti de J.G. Ballard, “Archaeopteryx” donne les premières nouvelles de Monolake, via Robert Henke, depuis quatre ans et VLSI. Ce dernier n’étant pas à la hauteur de leur classique “Hong Kong” (repère techno incontestable), Henke s’est lancé, d’une part dans la restauration de ses vieux PC Commodore CBM 8032 et, de l’autre, dans d’illustration sonore des oeuvres de Ballard qui donne cet album. Du grand Monolake…
La virtuosité de conception audio de Henke offre ici un paysage sonore configuré de manière à assurer une fidélité optimale des contours, en déployant une variété de percussions et une multitude de textures de synthétiseurs sur 19 pistes et près de 100 minutes de techno granuleuse. On va y croiser le funk dark de "Dirac Onyx", le sautillement à ressorts hélicoïdaux de "Specimen Fractal", le son des B.O. de "Transient Noire" et "Delta Overload", "l'ambiance Alva Noto-esque de "Phaenon Ono" ou l'électro dystopique sur "Alu Minimum" - tous ces éléments mis en place pour refléter le récit que nous vous offrons plus bas.
Album des vingt ans du groupe, celui-ci dévoile la liste des logiciels employés pour sa conception : Ableton Live, Wavetable, Operator, MaxMSP, Granulator II, Celemony Melodyne, Sequential Circuits Prophet VS, Dave Smith Instruments Prophet 12, Yamaha SY77, Yamaha DX-7, PPG Wave 2.3, New England Digital Synclavier II, Ensoniq ASR-10, Oberheim Xpander, a few modular things, Alesis Quadraverb, Lexicon PCM 80, Publison DHM-89 B2, Quantec QRS, Eventide H3000, Eventide Eclipse, Dynacord DRP 20, AMS RMX 16, modified Linn Drum, Sequentix Cirklon. Inutile de souligner que la précision de l’espace et du son sont à tomber - et qu’on vous recommande illico l’écoute au casque ; c’est le minimum.
L'air est humide, la pluie battante frappe les roches en fusion et se vaporise en sifflements dramatiques. Les couleurs sont spectaculaires, des fluides rouge-orange bouillonnent au ralenti, de l'eau bleu foncé remplit les grottes profondes, des nuages presque noirs se dressent à l'horizon, des taches soudaines de ciel bleu vif s'ouvrent en haut, du brouillard blanc partout, une peinture expressionniste émerge et se reconfigure, bien avant que les peintres n'existent. Tout est constamment en mouvement, en respiration, en transformation.
Le grand oiseau s'abrite sous une fougère, naviguant avec précaution sur une terre instable. Au loin, une autre créature plus petite tente de s'échapper de l'eau, mais échoue. A proximité, la sonde est coincée dans la boue, avec sa surface brillante et sa courbure parfaite. Un chef-d'œuvre d'ingénierie, qui malheureusement en ce moment même devient dysfonctionnel, un rayon gamma de trop, et une structure nanométrique située sur un chemin de signal critique désapprend à jamais comment faire son travail.
L'oiseau est affamé.
Miller décide de sauter son deuxième café, il se sent de toute façon trop agité ces jours-ci. Trop de réunions, trop de travail administratif. Trop d'humains trop éloignés de la station avec trop d'opinions. Il monte sur l'échelle métallique, essaie d'ignorer le vent glacé, fixe la caméra et attend le déclic. Quelqu'un a laissé une note sur son bureau, "a encore eu des centaines d'erreurs sur A-78, remplacez...". Il prend le papier, le reconfigure soigneusement en une petite boule jaune et manque la poubelle de dix centimètres.
Le grand oiseau déploie lentement ses ailes, regarde ses griffes et décide de se débarrasser du dispositif d'exploitation forestière. Quelques petites pierres roulent sur la roche, jouant un beau et complexe motif rythmique mais personne n'écoute. Puis elle décide finalement de monter. Les nuages deviennent de plus en plus denses, construisant rapidement des structures géantes, prêtes pour le prochain gros orage à venir, envoyant des glaçons et du feu en même temps.
Le paquet de données est court et semble insignifiant, juste une impulsion de trop sur une LED verte dans une salle de serveurs. Il faut attendre les premiers hubs, jusqu'à ce qu'il soit finalement corrigé par une IA un peu trop intelligente. Le grand oiseau jette un dernier coup d'œil au soleil du matin, satisfait, et cesse d'exister.
Comme il n’est toujours pas question, fin 2020, de danser ailleurs que devant son frigo/miroir/chat ?, cet Archaeopteryx vous fera voyager immobile (ou pas!) en élargissant l’espace autour de vous, en en rédéfinissant les contours. Mais le plus fort est aussi qu’il refile au passage le goût d’autres espaces intérieurs qu’ils modélise savamment sur un ton aussi rétro-futuriste par son thème que cyber-punk dans sa pratique. Ce n’est pas Hong-Kong, mais on se rapproche … Une belle claque, ce faisant.
Jean-Pierre Simard le 30/11/2020
Monolake - Archaeopteryx - Imbalance Computer Music