Claude Nougaro parmi nous : les hommages de Babx, Minvielle et Pourquery sonnent juste et fort
Cela commence par la voix de Minvielle a capella… la pomme. Celle qui nous est offerte, à croquer, doucement, tendrement, mais franchement ! Initié en 2014, cet hommage tourne autour et retourne les mots du toulousain, avé l’assent, sans jamais parodier, sans jamais vraiment jouer les titres du grand. Huit concerts par an, l’envie de faire un album qui se vendrait à la fin des concerts, et le projet se transforme peu à peu en un objet hommage non identifié.
Deuxième titre « Locomots » scande bien ce qu’envisagent ces 3 loulous des mots et des mélodies. Babx, Minvielle et Pourquery mélangent les titres audacieux de Claude avec l’audace du Nougaro rose à nous donner le rouge au joues. « Locomots » c’est un train à vapeur qui donne le vertige, suspendu aux rimes des cimes qui touchent le ciel et bat le pavé parisien comme il se doit.
Un pavé trempé de pluie, bien évidemment, dans le troisième titre qui ne pouvait passer au travers des gouttes. Babx chante, comme il sait le faire. Sans jamais en faire des tonnes, mais juste assez pour nous traverser d’une émotion, avec cette note qui vient à répétition troubler l’ordre du swing. La pluie fait des claquettes et eux trois mouillent le maillot, crampons terrestres et forts dans la mêlée des mots jusqu’aux claquement de main, pour saluer leur très haute-forme, à défaut de claquer les chapeaux…
Et, comment se frotter alors au titre de Brubeck, à bout de souffle, tellement emblématique de l’œuvre de Nougaro… En réalisant, soufflant à bout de lèvres, chuchotant le texte en un slam rugueux, curieux, presque intime, traumatique et troublant les mots sont ceux qui font la ronde turk et notre imaginaire fait le reste, lorsque nous nous souvenons d’un Nougaro qui les enfilaient comme des perles, brillantes autour de cou sublime de la virtuosité. Un tour de force de faire faire un seul tour à notre sang, tandis que jamais ne vient l’apaisement.
Il en faudrait des rimes… Et Babx s’en charge, avec cet autre monument qui sans faire oublier Romano, change le paradigme d’une bonne reprise. On dit « cover » à présent (me dit-on dans l’oreillette ; je la jette). De couverture, Babx n’en a point besoin. C’est sa simplicité, sa fraîcheur qui font la différence et elles couvrent d’un voile délicat la valse qui ,reprise par le saxophone sans ornement, dévoile alors toute la douceur exacte d’un titre qu’on apprécie d’oublier pour mieux le retrouver, pour mieux s’arrimer à cette poésie et à « sa peau aussi ».
Nougaro en grand explorateur des musiques du monde, se frottait, on le sait aux styles musicaux les plus originaux. Le Brésil à travers K-you K-yaw nous le rappelle avec un Minvielle tout doux, et une bossa aux jeux de mots cheminant sur une histoire improbable qui ne raconte rien, sinon le mouvement perpétuel d’une quête d’instants aux antipodes des désirs matériels du monde. Cueillir des cailloux en chemin… les semer, les ramasser, les laisser, mais continuer les chemin, la musique, comme ce saxo que Pourquery trimballe, sautillant et gracieux.
« C’est plutôt les mots qui se jouent de moi… » Claude parle sur cet intro pianistique de Babx. Quelques phrases sur le sens de son art, sur le sens de ses mots, sur le sens de sa vie, de nos vies… Tout ce qui traverse la chanson telle qui la « travaillait », dans un corps à corps de boxeur, en noble artiste, aux accents appuyés comme des uppercuts !
Pas de quoi voir La Vie En Noir ? De Pourquery, reprend sobrement cet hommage aux bluesmen, jazzmen de la première heure… Gospel quasi classique, avec cet « anti-piaf » assumé, comme pour mieux dire tout l’amour que le bonhomme avait pour cette musique qui longtemps fût ostracisée. Une reprise directe, encore une fois très franche, qui touche l’essence de la chanson et du texte parfaitement maîtrisé.
« Moi y en a voir la vie en noir » référence à cette langue que l’on apprenait aux noirs des colonies « le petit nègre ou pitinègre », la langue des colonisés pour les marquer avec un apprentissage d’un français qui n’existait pas. Le texte est loin d’être juste un beau poème de plus, il affirme la condition du musicien noir, comme celui de l’esclave, ou du colonisé et/ou de celui qui est victime de ségrégation… En ré-écoutant le texte, en le relisant aussi, il sonne comme une raison valable de ne pas voir la vie en rose lorsque l’on est discriminé et prend un sens très « poé-litique » !
« C’est Non » est l’ode des mots et surtout une ode aux chansons quasi inconnues ou méconnues dirons-nous du sieur Nougaro… Une découverte presque, tant le choix de l’arrangement sur un accord constant, une sorte de drone qui court tout le long de ces presque 360 secondes, nous invite à l’indécision. Non ou Oui, Oui ou Non… On dit : « Oui » à Minvieille qui transcende le texte et fait vibrer des ses « scats » parfaitement maîtrisés une musique au service de la langue « Nougaresque » ! (Ce texte se charge de plus en plus de néologismes improbables, j’espère que vous m’en excuserez !)
Peut-être que le plus touchant et le plus saisissant, dans cet hommage des 3 artistes à ce grand Monsieur de la chanson, sont les chemins de traverse pris pour ne pas tomber dans la reprise convenue… Ainsi Thomas de Pourquery signe avec l’instrumental Cécile un solo de saxophone très élégant où l’on attrape par touche (par souffle) une des chansons les plus connues de Nougaro dont les « Céciles » ont subi les assauts, tant leur pères fans du toulousain manquaient d’inspiration pour prénommer leur progéniture… Et c’est cet instrumental qui enfante naturellement « Une petite fille » que Babx sublime.
Parce que sa voix, sans jamais imiter, incarne le texte. Il en fait sa chanson, ses mots et sa respiration. La musique hyper sobre, presque « désuète » (ici ce n’est pas péjoratif, bien au contraire) nous fait oublier la dureté des mots, leur douleurs et leur hurlement pathétique tout droit sorti d’un homme qui croit quitter alors qu’il est quitté ! Le détachement de Babx en contrepoint du jeu de Nougaro qui, on se souvient, chantait le titre avec de « la flotte plein les yeux » recentre les mots de ce « pauvre type » indécis sur ses propres sentiments éprouvés par le départ de celle qui ne l’aime plus… Ce jeu très cher à Nougaro, déjà entendu dans l’interprétation de « Je suis sous » ; où le chanteur n’est jamais très loin de l’acteur et l’incarnation parfois littérale de la poésie peut se comparer à ce qui permettait aux chansons d’exister fortement dans l’inconscient collectif, avant que naissent les images vidéos imposées des clips scénarisés grandes pourfendeuses d’imaginaire !
Ici, on s’en éloigne, car la distance est telle que le texte dit clairement toute la mélancolie de la situation et de la chanson elle-même qui nous ramène en à peine deux accords l’époque à laquelle Nougaro est attaché, une époque des couples qui durent (des couples à pantoufles), et dont les séparations sont des mélodrames insurmontables.
Alors, vient le moment où le disque touche à sa fin. On le termine avec la voix de Nougaro qui parle des années 50, du « cha cha cha » et de son amour des mots qui deviennent des hymnes minuscules pour ne plus jamais vous quitter. Finir en clin d’œil drolatique, refusant de laisser la chanson française dans ses pantoufles ! Les Pantoufles à papa, la musique à papa, l’intranquillité souligne, dans la répétition, le refus des panthéons, des statues et des hommages grandiloquents ! Où sont passées les pantoufles… à papa ?
Sûrement sous le lit, où devant la porte d’entrée, celle bien verrouillée de la variété tristounette et commerciale…
Ces pantoufles là, m’sieur, « en feutre » prennent l’espace et avancent avec leurs gros sabots, ça fait beaucoup pour un seul pied et Babx, André Minvielle, Thomas de Pourquery ne s’en chaussent jamais, comme après une grosse journée de travail, mais les balancent, les oublient et préfèrent de loin, les pieds nus pour sentir l’asphalte, ouh, le sable, ouh, les cailloux, ouh, le gravier, ouh, l’herbe fraîche ouhhh même la rugosité des trottoirs…
Et dans un cha cha cha assumé, on se surprend à déambuler jusqu’à la chaîne hifi pour remettre le disque au début, ce qui en fait sinon un gage de qualité, du moins une source de plaisir profond de se sentir en vie…
Richard Maniere le 6/12/19
Babx, André Minvielle et Thomas de Pourquery - Nougaro - La Familia/ l’Autre Distribution