Les quarantièmes surgissants de Banlieues Bleues
Avec de quoi coller la honte à Pitchfork et aux festivals de l’été, la quarantième édition de Banlieues Bleues est déjà dans la place depuis samedi dernier avec un simple mot d’ordre : 40 ans, 40 concerts. Accrochez-vous on redécolle mardi .
Edito du patron, qui sait manifestement ce qu’il programme : Sur l’affiche de cette édition-anniversaire, deux icônes de la musique, Nina Simone et Miriam Makeba, photographiées à Banlieues Bleues en 1989 par Guy Le Querrec (Magnum), en clin d’œil à un glorieux passé qui a vu défiler bien des mondes en Seine-Saint-Denis.
Le programme du 40e festival, qui se tiendra jusqu’au 21 avril 2023 dans 12 villes du département, est quant à lui résolument tourné vers le présent et l’avenir. Pour preuve, parmi les quarante groupes invités, une foison de nouveaux noms sélectionnés parmi les têtes chercheuses qui inventent les musiques de demain.
La musique n’a sans doute jamais été aussi incroyablement ouverte et diverse, vive et créative, riche de rencontres qu’aujourd’hui : Rocío Márquez et Bronquio, Mademoiselle, Rokia Koné et Raül Refree, Sélébéyone, Dwarfs of East Agouza… Les vétérans, eux-mêmes expérimentateurs-nés, Ray Lema, Marc Ribot, Hamid Drake Tribute to Alice Coltrane, Jan Bang, ont peut-être joué le rôle de modèles pour la nouvelle garde : Steve Lehman, Lova Lova, Floy Krouchi, Olivier Lété, Arnaud Dolmen, Valentina Magaletti, Sophye Soliveau, Fabrice Theuillon, Baba Commandant… Et les défricheurs avancent à contre-courant de la culture dominante : Pink Siifu, La Sonora Mazurén, HHY & The Kampala Unit, Violaine Lochu, DJ Marfox et Príncipe, Fulu Miziki, The Silhouettes Project… À moins qu’ils soient devenus les nouvelles stars d’aujourd’hui : Emicida !
Et dans ce nouveau paysage musical en transmutation, Banlieues Bleues poursuit ses propres expérimentations, notamment avec ses actions musicales : AngRRR, Ostrakinda et la Tribu Ephémère, les Mamies Guitares, Bat’man de Chœurs… sait-on jamais, on pourrait y rencontrer une Nina ou une Miriam de demain… Une certitude en tout cas : la musique se prépare un avenir glorieux !
A tous les aficionado, en lançant la vidéo de Ray Lema sur YouTube, vous pouvez ensuite laisser filer la playlist du Festival et 30 autres titres. Dont acte ! Et maintenant un petit détour par quelques concerts qui nous tiennent à cœur :
28/03 - Mardi colère à la Dynamo avec l’installation Angrrr, Ortie et l’histoire intîme d’Elephant Man de Fantazio
AngRRR est un dispositif de performance collective sur le thème de la colère, imaginé par la performeuse et musicienne Violaine Lochu avec des Pantinois·es, suite à un travail exploratoire de plusieurs mois. Souvent reléguée à des moments de faiblesse personnelle ou à un défaut de rationalité, la colère peut-elle être un mode constructif d’expression individuelle et collective à même de proposer de nouvelles ententes entre individus ? Traduction en mouvement et en voix, à corps et à cris.
Ortie : Violaine Lochu aime détricoter les dichotomies classiques. Dans ce trio avec le guitariste électrique Julien Desprez et le batteur Francesco Pastacaldi, elle traduit en musique ses recherches à partir de la parole de personnes de tous horizons sur deux émotions, la colère et l’amour. Deux faces d’une même pièce, un cri du cœur transformé en étonnantes chansons striées de poésie sonore, de rock, d’improvisations et de musique répétitive.
Fantazio: Perpétuel improvisateur, Fantazio s’est mué en acteur dans cette performance – sans musique – sous forme de conférence-confession, qui détaille les obsessions et les failles les plus intimes d’une existence. Il y convoque les souvenirs et démons de l’enfance, explore ses rêves et cauchemars – l’homme éléphant, ses formes béantes, la mort d’une mère à l’accent argentin…- dans un feu d’artifice d’idées et de réflexions à tiroirs, sautillant de l’absurde au fantasque pour tailler un costume sur-mesure à la folie ordinaire. « Ce solo traduit les voix multiples qui m’ont nourri, m’encombrent, m’empêchent de dormir et débordent des parois de la peau. »
30/03 au Théâtre Public de Montreuil, jeudi c’est duende !
Rocio Mmarquez & Bronquio Tercer Cielo (Espagne Inédit) : À lire la presse espagnole, unanime, “il y aura un avant et un après” Tercer Cielo, magistral album fomenté en duo – pendant le confinement – par la chanteuse de Huelva avec Bronquio, l’un des musiciens les plus abrasifs de la très créative scène électro-trap espagnole. Un aboutissement – dès ses débuts, Rocío Márquez a entrepris de réinvestir de fond en comble le cante flamenco – et une réussite totale. Le tandem entremêle sans les dénaturer flamenco et électronique, deux genres qui ont à la fois très peu et beaucoup en commun – l’élévation, la transe, le corps, la fête – et transporte le duende dans une nouvelle galaxie.
2/04 La Sonora Mazurén à Epinay/Seine Pôle Musical d’Orgemont ( 17h) envoie la cumbia psyché
Dernier né des doux délires psyché-tropicaux, ce septuor colombien a tout pour faire valser les étiquettes et transer de pied en cap jusqu’à pas d’heure. La Sonora Mazurén, nouvelle émeraude indie tropical de la montagneuse et bruyante Bogotá, tire son nom d’un lotissement de la banlieue nord de la capitale colombienne où elle a été créée par Iván Medellín, musicien phénoménal qui manie la noise et les harmonies psyché et déroule à l’accordéon tous les mystères de la cumbia, appris des pionniers Alejo Durán ou Andrés Landero comme de leurs héritiers du coloré cartel contemporain. Organisant fêtes et jams clandestines pour lutter contre l’abnégation télévisuelle et l’ennui moderne en dépoussiérant cumbias sonideras, chalupas, champeta et chicha péruvienne, la Mazurén a ouvert de nouvelles possibilités à la fusion tropicale. Premier concert en Europe et nouvel album produit par Eblis Alvarez des Meridian Brothers. Son titre, un vieux mantra du dance floor, annonce la couleur : Bailando con extraños !
7/04 B. Cool-Aid (US) goes with the flow à la Marbrerie de Montreuil
Son nom s’est répandu comme une trainée de poudre dans le circuit rap alternatif de Los Angeles, puis très vite au-delà. Pink Siifu (de Sifu, le titre en mandarin d’un maître d’arts martiaux) a désorienté tout le monde avec son rap expérimental phénoménal, teinté de néo-soul, de funk, de punk et de jazz. Une soif d’originalité musicale qui n’est pas sans évoquer le génial MF DOOM, l’un de ses héros, double d’une force poétique tranchante sur l’expérience noire en Amérique. B.Cool-Aid, son duo avec le producteur Awhlee, sort ces jours-ci un album groovy à souhaits, à découvrir en primeur sur scène à Banlieues Bleues.
12/04 La Dynamo dévoile une relecture de Satie et du live sampling avec Jan Bang
I K I R U plays Satie (France) : Au fil de son parcours, Fabrice Theuillon s’est façonné un univers artistique singulier : saxophoniste pilier du Surnatural Orchestra, pour lequel il a aussi écrit des partitions inspirées par Ellington ou le cinéma de Dario Argento, Banlieues Bleues se souvient encore de ses Wolphonics, super groupe jazz-hip-hop avec la rappeuse et tap-danseuse Asha Griffith. S’il passe d’un style à l’autre avec une aisance folle, ses projets sont toujours « habités ». Son nouveau disque et duo I K I R U avec le pianiste Yvan Robilliard, à la fois hommage à la musique d’Erik Satie et clin d’œil au film d’Akira Kurosawa (Vivre, 1952), crée dans une atmosphère méditative et malicieuse au cœur d’un paysage sonore que l’on pensait connaître, des émotions et des images qui vont droit au cœur.
Jan Bang - Reading the Air (Norvège ) : Il est le sorcier du live-sampling, un concept d’électronique musicale développé et enrichi au fil de ses rencontres (Sidsel Endressen, Arve Henrikssen) et autour duquel il a créé un événement annuel, le Punkt festival, qui vise à produire en direct des remixes de ce qui se joue ailleurs sur scène. Jan Bang, prodigieux expérimentateur norvégien, se dévoile dans Reading The Air en chanteur, avec une voix irradiante qui rappelle d’autres grands astres – David Sylvian, Scott Walker. Fidèle à sa science, il y déploie un univers onirique, lunaire, stratosphérique, avec le soutien de complices au diapason, dont le guitariste Eivind Aarset. Aurore boréale visible ce soir à Pantin.
14/04 Principe Discos à la Flèche d’Or avec DJ Narciso, DJ Marfox et DJ Marfox : Il était une fois, dans des soirées de la banlieue de Lisbonne, une poignée de jeunes DJs qui s’amusait à concasser les sons afros qui traversent la capitale portugaise, à grand renfort d’électro et techno dissonantes. Ce cocktail implosif faisait vibrer les vitres des HLM, jusqu’à ce que le label Príncipe se donne pour mission de diffuser cette scène dans les clubs du centre-ville. Aujourd’hui, le monde entier écoute les « princes du ghetto de Lisbonne », dont les insaisissables rythmiques ont façonné l’un des sons les plus novateurs de la dance actuelle. Entrez dans la transe, avec aux manettes trois fers de lance du label, DJ Narciso, DJ Nigga Fox et le vétéran DJ Marfox. Principe au Portugal, c’est comme Versatile ici, rien à jeter : foncez !
15/04 à Main d’œuvres dans les Puces de St-Ouen, l’Ouganda en force de HHY & The Kampala Unit + Afrorack :
HHY & The Kampala Unit (Ouganda) : Derrière ce nom de science-fiction se cachent la trompettiste activiste Florence Lugemwa et les percussions fantasmagoriques d’Omutaba, deux artistes de Kampala réunis par le Portugais multi-facettes Jonathan Uliel Saldanha lors d’une résidence en 2018 au festival Nyege Nyege, la fabrique ougandaise des plus fascinants trublions de la musique actuelle africaine. C’est de là qu’a décollé cette prodigieuse météorite sonore : une transmutation énergétique de musiques traditionnelles, de jazz-punk, de cuivres tranchants et de transe électro-dub ultra-dansante. Loin d’être asservie aux machines, leur musique est, plus qu’humaine, émouvante, et d’un optimisme imparable, comme si elle venait d’un monde lointain pour sonner le ralliement de l’Afrique du futur.
Afrorack (Ouganda): Avec son synthétiseur modulaire fait-maison, l’Ougandais Afrorack fait figure de précurseur pour le futur des musiques électroniques en Afrique. Son premier disque sorti l’an dernier sur le label Nyege Nyege Tapes a suscité la curiosité de la presse musicale internationale, mais aussi de nombreux artistes. Car sous le nom d’Afrorack, Brian Bamanya n’est pas seulement un musicien brillant mais aussi un technicien hyperdoué qui a fabriqué lui-même, en mode DIY, le premier synthétiseur modulaire africain. Une prouesse technique porteuse d’infinis développements à l’échelle du continent, qui se double d’une fascinante nouvelle forme musicale, un mélange d’acid-house et de rythmes traditionnels ougandais.
20/04 Baba Commandant & The Mandingo Band groovent aux Instants Chavirées à Montreuil
C’est à Bobo Dioulasso, au Burkina Faso, que Baba Commandant a formé un équipage ad hoc pour propulser le funk mandingue dans la troisième dimension. Joueur de kamélé n’goni et chanteur incantatoire, amateur d’afrobeat et de sound-systems, il a inventé son propre gumbo afro-funk, mélangeant sonorités mandingues, dub et rock avec un brin de folie punk, une formule DIY qu’il a trimballé des cabarets du dimanche aux sounds-systems underground de Ouagadougou, puis dans le monde entier grâce au label Sublime Frequencies, pour lequel il a déjà gravé trois disques au groove serré. À vos ordres, mon Commandant ! Pour se déboîter les hanches, ce sera là …
21/04 à l’Embarcadère d’Aubervilliers on naviguera entre son hors-cadre du collectif londonien The Silhouettes Project et le hip-hop brésilien de Emicida
The Silhouettes Project (Royaume-Uni) - Joue-la collectif ! À Londres, de jeunes artistes se sont associés pour mettre en lumière la nouvelle scène à la croisée du hip-hop, du jazz et de la soul. Le nom de leur turbulent collectif vient de ce qui est révélé quand on jette un coup de projecteur sur ceux et celles relégués à l’obscurité par l’industrie et le milieu musical. L’union fait la force ! Derrière ces Silhouettes, plein d’individualités remarquables, rappeuses, mcs, instrumentistes, toutes au service d’une même mission : donner de la masse et du volume à une déferlante dont le punch emportera les piliers du statu quo.
Emicida (Brésil) - C’est une histoire de rythmes ajustés et de rimes affûtées. Celle d’Emicida – contraction de MC et Homicida, tant au micro l’adolescent « tuait » ses rivaux–, rappeur formé à São Paulo dans la plus pure tradition des battles, devenu aujourd’hui l’une des personnalités les plus respectées de l’espace public brésilien. Derrière les maux qu’il tombe au micro se dévoile une dure réalité sociale, que cet activiste entend pointer en se faisant le porte-voix de ceux qui n’ont jamais accès aux estrades. Mais, plutôt que de sombrer dans une caricature en noir et blanc, Emicida se fait le chantre de la tolérance, transformant les irruptions de la colère qui guette au coin des lèvres en messages d’amour, et conjuguant rap et samba pour rassembler toutes les voix du Brésil vers des lendemains plus enchanteurs.
Et pour quelques autres occasions à ne pas rater : le maître africain de la sono mondiale Ray Lema le 31/03 à Clichy/Bois ; Hamid Drake célébrant Alice Coltrane à la Courneuve le 1/04 ; le 4/04 à Pantin, Rodolphe Burger , Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab, rock, du blues et du raï. ; le 18/04 Marc Ribot à Pierrefitte. Et , pour clôturer en beauté électro, le Dynamo Club N°2 qui tend à promouvoir et diffuser les sonorités électroniques innovantes issues des scènes underground du monde entier le 21/04 à Pantin.
Si avec tous ces artistes et registres musicaux en perpétuelles mutations, vous ne trouvez pas votre bonheur d’un soir ou de plusieurs, c’est qu’il est déjà trop tard et qu’on ne peut plus rien pour vous… Mais, si vous arrivez à la fin de ce papier, c’est que, quelque part, on aura réussi à attirer votre attention. Armez les toboggans, attachez vos ceintures, décollage immédiat. Feliz navidad !