Voyager vers l'inaccompli avec Yoon Ji Eun
Soudain, une lumière éblouissante. Des formes apparaissent, bougent puis valsent, portées par une brise invisible. Tout est de souplesse, d’angles, de textures et de couleurs. En scrutant attentivement, des fragments se révèlent : ils sont cheveux, arbres, jambes, architectures, brins d’herbe…
Les œuvres nouvelles de Yoon Ji-Eun racontent certes un monde fissuré et flottant, mais le monde en question est stratifié, organique et cyclique. Dans un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur l’artiste saisit des images de division, de séparation, de recomposition, voire de dispersion.
Elle décrit comme elle s’abandonne parfois à un état de rêverie et se sent projetée dans l’espace. Quelques courts instants, aérienne et minuscule, elle éprouve l’apesanteur et approche dans le même temps le vide et la lumière. Confrontée à un monde en transition, à une réalité qui lui échappe, Yoon Ji-Eun prend de la hauteur et réagit par une expression où figures et formes se décomposent et s’immatérialisent. Bi- et tri- dimensionalités ne sont pas seules à cohabiter dans les dessins sur papiers et bois sculptés. L’artiste active encore une dimension, qui est tout à la fois temporalité et musicalité. Si certaines compositions sont marquées par une verticalité, d’autres sont multi-focales, de sorte que tout apparaît ondoyant, protéiforme, en voyage. La lumière et le vide fondent alors un état des possibles. Le monde peut se transformer et renaître. Grâce, utopie et néant se fréquentent étroitement.
Les notions de voyage et de temporalité ont longtemps caractérisé l’œuvre de Yoon Ji-Eun. Des scènes vues en rêve étaient imbriquées à des scènes du quotidien, à des intérieurs, à des paysages. Des personnages déambulaient souvent, absorbés à des tâches quelconques ou occupés à jouer. En 2019, les statuaires antiques s’invitaient dans des environnements contemporains (stations de métro, architectures urbaines, failles dans le paysage), concrétisant l’une de ses préoccupations fondamentales, notre relation complexe au temps et au réel. Yoon Ji-Eun ressentait une telle présence, une telle vie dans ces sculptures et ces expressions millénaires qu’une passerelle entre des époques éloignées avait été bâtie. En 2020, une résidence à l’Institut français de Saint-Louis au Sénégal imprégnait profondément l’artiste. Elle revenait marquée par la découverte d’une réalité sociétale si différente de celles qu’elle avait fréquenté, empreinte de l’histoire coloniale, de lumières et de nuances qu’elle n’avait jusqu’alors pas appréhendé. De très nombreux dessins et un praxinoscope étaient nés de cette rencontre approchée sous l’angle de la synchronicité et de l’érosion du temps. Désormais, une autre couleur, une fluidité et un flou s’installent dans l’œuvre de Yoon Ji-Eun.
Voyager vers l’inaccompli marque une nouvelle étape. Yoon Ji-Eun y donne de l’espace à la turbulence, aux fragments, à des entre-aperçus. Le monde n’est plus un cadre figé et immuable dans lequel l’être circule de manière presque cyclique. Le monde est instabilité, mutation, conversion et se constitue de strates qui matérialisent une permanence. Ainsi, certains dessins déploient des bandes horizontales sur l’intégralité de la feuille. Entre ces bandes, la clarté perce, telle la vision entre des persiennes. Des points frêles parcourent ces espaces à un rythme régulier, spécimens, mini-mondes et marqueurs minutieusement figurés.
Ailleurs, le tunnel est métaphore d’une vision fragmentaire, éclatée. L’obscurité, ce vide visuel expérimenté lors d’un passage dans le tunnel se cristallise sous forme de plages de blancs alternant avec des plages de couleurs fluides. Les feuilles entières sont alors recouvertes de fragments distinctifs.
Les reliefs en bois sont une autre proposition. Les veines discrètes du support rappellent sa nature organique. Se lisent ainsi des zones aux couleurs multiples qui contrastent avec celles dessinées au simple crayon de papier. Des formes verticales s’y érigent, plantés telles des incisions dans la fluidité de la composition. Leur tri-dimensionnalité est renforcée encore par le travail du couteau et de la gouge qui suggèrent une imminente brutalité. Par endroit des mini-formes de couleur éclatent, apportant un souffle, un vent, un son…
Avec ce nouvel ensemble d’œuvres Yoon Ji-Eun promet de voyager en poésie dans l’adhésion au doute, à l’indéfini et in fine, permet d’étreindre un certain renoncement au bénéfice d’un potentiel permanent.
-> rencontre l’artiste et Elora Weill-Engerer le 15/10/2021 à la galerie
Elora Weill-Engerer le 22/09/2021
Yoon Ji-Eun - Voyager vers l’inaccompli — Travel towards the unfinished -> 31/102021
Galerie Maria Lund 48, rue de Turenne 75003 Paris