“Hey What” de Low, fréquentable mais … par Etienne Greib
Dans mon quartier, enfin là où j’habite parfois, il y a une femme qui crie souvent, presque tous les soirs entre 21 heures et 23 heures, elle fait son apparition. On ne sait jamais si elle engueule quelqu’un en particulier ou l’humanité toute entière…
Personne ne s’occupe d’elle, personne ne la rassure, personne, pas même la personne à qui elle semble s’adresser, personne ne fait plus attention à elle. Elle fait désormais partie du décor. Un décor permanent d’indifférence. Les raisons existent. On n’a pas à suppléer à la psychiatrie. On ne peut plus rien faire pour elle. Pis, on en a de moins en moins l’idée, ni le désir. En plus, les deux tiers de ce qu’elle émet est un sabir inintelligible que la colère n’arrange en rien.
Eh bien je ne suis pas sûr que même le nouvel album de Low, disque censé nous relier à l’estime inaltérable que nous, sachants, éduqués, branchés ou plus rarement fans du groupe depuis le tout début, sommes censés porter à l’humanité puisse arranger quoi que ce soit. Un moment d’impatience, une révélation de la beauté, soit. Porter aux nues, pourtant, portant fièrement un humanisme contrarié à chaque instant. Voilà de quoi il s’agit.
Le problème du disque (pas de l’humanité, quoique), c’est que le précédent a vu juste et celui-là ne sait pas trop où il va.
J’ai aimé Low dans la saine accoutumance, le presque confort qu’ils serinaient à l’oreille de ma dépression jamais traitée. Et ce depuis toujours, depuis longtemps, minorité religieuse afférente ou non. Que ceux qui les prennent dorénavant pour un parangon d’avant-garde aillent refaire leur petit tour du monde FCPE de l’extrémisme en écoutant Do You Know How To Waltz sur leur troisième album The Curtain Hits The Cast (Vernon Yard, 1996).
Depuis, c’est un cas d’école, des touches d’humanité qui soit s’érodent (John Prine sur Trust, 2002, une beauté chancelante, l’éternité), soit se livrent entièrement dans une propension confessionnelle plutôt élevée (Monkey, sur The Great Destroyer, le premier chez Sub Pop en 2004) ou à des touches d’envol de repli paternel contrarié (Try To Sleep, sur C’mon, 2011, parfaite consolation apocalyptique du jeune parent privé de tout et pas que de sommeil) avant un essor presqu’inconcevable, scandaleux, annihilant chez leurs pairs tout effort de faire son malin, le bien nommé et toutefois tourneboulant Double Negative (2018). Now we’re talking.
Quoi qu’il arrive, je me demande toujours si la rétention des droits préalables à la réédition des trois premiers albums du groupe n’empêche pas la pleine compréhension des saillies d’aujourd’hui. C’est à la fois dommage et très bien. La constance du religieux allant vers l’étiolement, je ne peux en aucun cas faire un tour d’horizon de ce disque attendu, obligatoirement incontournable, un brin totalitaire dans sa manière de dire « regardez comme on va mal » mais où souvent le sublime affole encore notre foi en Mimi et Alan. Quand ils cessent de faire leurs intéressants (The Price You Pay) on retrouve, presque intacte, notre entière adhésion à cette musique du doute permanent, celle de gens qui luttent au quotidien contre la folie en (con)tournant la foi comme ça les arrange.
Le problème étant que depuis l’écriture de ces mots, on a écouté le nouvel album, le dernier, de Mendelson. Et qu’on a beaucoup moins envie de faire son Jacques sur des sujets qui semblent, à leur échelle quoique mondiale et non régionale, bien mineurs ou intégralement vides d’émotions palpables, en comparaison.
Etienne Greib le 22/09/2021
Low- Hey What - Sub Pop