Marie-Madeleine n'habite plus à Commercy
Si travailler à la fabrication de reliques modernes est une activité peu usitée, c’est celle entreprise par Benedetta Casagrande et Leonardo Falascone autour de l’image de la sainte catholique Marie-Madeleine et des traces de son voyage supposé entre la Palestine et la Camargue. Entre analyse et déconstruction, un travail secoueur de mythe.
Benedetta Casagrande est une photographe, écrivain et conservatrice italienne. Diplômée en photographie de l'Université de Brighton en 2016, elle a récemment obtenu un master en histoire de l'art et en conservation de musée avec photographie à l'Université du Sussex. Casagrande est l'une des trois fondatrices d'Ardesia Projects, une plateforme de commissariat dédiée à la photographie contemporaine. Casagrande est la fondatrice et la directrice de la résidence d'artiste In-Between Shores, à Varèse (2018), et d'une série de sessions d'évaluation par les pairs, Tempesta Creativa (2016-en cours), qui se déroulent à Milan (IT) et à Brighton (UK). En 2019, elle a travaillé comme chercheuse indépendante pour le département d'interprétation du British Museum dans le cadre du programme "Amour, Désir, Identité" : Exploring LGBTQ + Histories et a été conférencière invitée à The Photographer's Gallery. Son travail photographique a été exposé au niveau national et international. Parmi ses expositions, on trouve The Invention of Memory, Photo Ireland Festival (2019), Step, Kneel, Rub, Touch, Look, Grasp, Repeat, Page Blanche Gallery (2018), Family of No Man, Cosmos Arles (2018) et Pingyao International Photography Festival, China (2017).
La collaboration entre Casagrande et Falascone a débuté en 2018 à l'occasion de l'Invention de la mémoire, principale exposition du festival Photo Ireland qui s'est tenu en mai 2019. En travaillant ensemble sur la recherche théorique sur laquelle le projet s'appuie, Casagrande a développé des photographies tandis que Falascone a travaillé sur la création d'objets ; de "nouvelles" reliques pour ajouter à la collection de dispositifs narratifs soutenant l'imagerie de Marie Madeleine. Elaborant la notion légendaire de la Sainte dérivant sur un bateau sans rames dans son voyage de Jérusalem à la Camargue, et travaillant avec la signification symbolique du bateau comme véhicule de transformation et comme porteur d'identités à la fois corporelles et spirituelles, il a conçu deux modèles du même navire : l'un, fermé, contient une photographie qui peut à peine être vue dans des lumières faibles grâce à un judas découpé sur son toit. Le second modèle voit l'effondrement des parois porteuses du vaisseau, ne révélant qu'une chaise vide ; l'image a disparu, le corps est absent, l'identité portée par le vaisseau impossible à cerner, à observer ou à contraindre.
Maria di Magdala (titre provisoire), travail de collaboration développé entre Benedetta Casagrande et Leonardo Falascone, enquête sur la création du mythe et la présence de Sainte Marie Madeleine dans le sud de la France. Réfléchissant sur la relation complexe entre la mémoire et la foi, l'authenticité et la fiction, le projet s'interroge sur les moyens par lesquels les récits imaginaires façonnent et transforment la réalité substantielle au point de les rendre indiscernables. Etablie et représentée comme un symbole de pénitence et de salut, la figure de Marie-Madeleine est profondément ancrée dans notre imaginaire collectif. Retraçant le passage de la Sainte dans le sud de la France tel que raconté dans la "Légende d'Or" médiévale - qui raconte le voyage en bateau de Marie-Madeleine de Jérusalem à la Camargue - le projet examine comment le mythe a été construit et instrumentalisé pour établir le paysage local comme une Terre Sainte post-biblique, transférant de la Palestine à l'Europe non seulement le culte et les vestiges de la présence matérielle de la Sainte, mais l'expérience du pèlerinage elle-même.
Instituant le territoire comme une destination touristique et religieuse importante, son culte survit aujourd'hui grâce aux reliques conservées dans les églises les plus visitées de la région : l'église de Stes-Maries, qui abrite le "coussin des saints" (un bloc de marbre sur lequel reposerait le crâne du cadavre de Marie-Madeleine), la basilique de Saint-Maximin, qui abrite son prétendu crâne incrusté dans un support en or et le sanctuaire de la Sainte Baume, construit dans la grotte dans laquelle la Sainte a passé trente-trois ans en ermite. Les forêts dans lesquelles se trouve la grotte sont également saturées et animées par sa présence imaginaire. On pense que les larmes de Marie-Madeleine sont la source de ruisseaux d'eau qui s'enlacent à travers les racines de ses arbres anciens, la forêt elle-même étant un témoin séculaire de son passage, conférant au paysage naturel des qualités magiques. Entre photographie de scène et images pseudo-documentaires du paysage transformé pour soutenir les revendications de sa présence dans le sud de la France, Maria di Magdala réfléchit à la fragilité, mais aussi à la persistance des récits historiques.
A bien y réfléchir, ça change des marchands du temple de Lourdes que l’on ne peut plus imaginer aujourd’hui sans le recours de Jean-Pierre Mocky et de son Miraculé, ni du travail de réécriture de l’Histoire , en continu du puits du con chez les Chouans. Un peu de recul dans un temps covidé où des commentateurs sportifs sont devenus spécialistes du n’importe quoi érigé en spectacle. Alea jacta est.
Plus d’infos sur le travail en cours ici
Jean-Pierre Simard le 6/01/2021
Benedetta Casagrande et Leonardo Falascone - Maria di Magdala