La réinvention de la cocotte-minute par Plaiboi Carti et son “Whole Lotta Red”
“Whole Lotta Red” fonctionne comme un autocuiseur. Playboi Carti prend des rythmes brillants et dentelés et les rassemble, bout à bout, de sorte que l’album semble se diriger sauvagement vers une destination inconnue. Ces rythmes sont ensuite peuplés par la voix outrée et expressive du MC en une série d’aboiements, d’éclats ad-libbed et de mélodies chantées qui aggravent la manie en un tout cohérent.
Whole Lotta Red transpose le plaisir d’entendre un travail en cours inspiré en un style pleinement réalisé. Il y a New Tank, qui semble avoir une demi-douzaine d’idées de refrain qui sont distribuées en une seule longue prise. Les vers se désintègrent en chants grégoriens; le milieu de «Stop Breathing» y est construit autour d’un seul son ad-lib constant. Même lorsque les chansons adoptent des arrangements plus traditionnels, elles y parviennent de manière inattendue. «Beno!» s’ouvre avec un aparté sur le fait que Carti achète à sa sœur une Jeep, une image mignonne et spécifique en phase avec le rythme, genre un iPhone qui sonne au paradis. Ce n’est qu’à mi-chemin de la chanson qu’il devient clair que mis à part – l’un des extraits vocaux les moins produits de l’album – sera réutilisé et répété en chœur. À son meilleur, Whole Lotta Rouge On dirait que les mémos vocaux de Carti ont été posés sur la production la plus punitive qu’il ait pu trouver.
L’un des éléments caractéristiques du style de Carti est sa fameuse «voix de bébé», qu’il n’a pas complètement excisé de Whole Lotta Red, mais les moments les plus saisissants de l’album arrivent quand Carti rappe à en perdre le souffle. (WLR s’ouvre intelligemment avec l’une de ses chansons les plus propulsives, où la voix de Carti sonne comme si elle avait déjà été tendue par une performance d’une heure.) Le plus impressionnant est la façon dont Carti a fusionné sa prestation avec son style d’écriture épuré, comme quand il obtient coincé sur la ligne «Quand je m’endors, je rêve de meurtre», répété encore et encore dans un murmure menaçant. Rassurant, non ?
L’élément central de Whole Lotta Red est sa stimulation hyperkinétique, en particulier dans sa course d’ouverture prolongée. Avec l’ensemble de trois chansons de «New N3on», «Control» et «Punk Monk», l’album passe de sa moitié avant bourdonnante à l’arrière plus exultant, mais introduit également des problèmes mineurs de ballonnement et de rythme: Chacun de ces trois chansons a un analogue mieux exécuté ailleurs sur la tracklist, bien que «Monk» soit en partie racheté par l’intrigue de l’industrie qu’il diffuse. Et le trio d’apparitions d’invités (un vers de Future téléphoné sur «Teen X», le titre de Kid Cudi sur le texte intéressant mais trop long «M3tamorphosis», et le verset du producteur exécutif Kanye West sur «Go2DaMoon») auraient dû tous être laissés sur un disque dur quelque part. Ce sont des problèmes, pour la plupart, mais ils s’additionnent – moins pour être des échecs purs et simples à leurs propres conditions, et plus pour faire dérailler l’élan que Carti crée autrement si soigneusement.
C’est une chose pour un album de 24 chansons, d’une heure qui était devenu un objet de spéculation si intense de tenir sa promesse. Qu’il le fasse tout en maintenant une aura de mystère autour de son créateur est doublement impressionnant. D’une certaine manière, le personnage public de Carti trahit sa fixation sur la haute couture: le rappeur comme couture, quelque chose que vous ne pouvez pas simplement entrer dans un grand magasin et voir, toucher, posséder. Son travail, ou du moins des traces de celui-ci, semble omniprésent, mais l’homme lui-même est un peu un fantôme. En revanche, les chansons sur Whole Lotta Red sont urgentes et immédiates et bien qu’elles n’ont que peu de rapport avec une quelconque autobiographie, elles coupent tout près de l’os. Le nouveau poulain de Kanye West voit l’année démarrer très fort pour lui. C’est fort !
Jean-Pierre Simard avec FR24News le 6/01/20221
Plaiboi Carti - Whole Lotta Red - AWGE / Interscope