Les fulgurances du Isidore Ducasse des "Chants de Maldoror"
Plus pétaradant que Rimbaud, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont ne publia que trois ouvrages de son vivant : Les Chants de Maldoror et Poésies I & II. S’il est entré par la petite porte dans l’histoire de la littérature, il y tient depuis le surréalisme une place de choix, à part et qui continue à se faire sentir jusqu’à aujourd’hui.
Drôle de destin que celui des “Chants de Maldoror” ! Jamais mis en vente du vivant de son auteur, ce livre monstre est aujourd'hui partout, mais envahi de notes et de gloses, dans des éditions scolaires à l'orthographe modernisée. 150 ans après la mort d'Isidore Ducasse, le revoici tel qu'en lui-même, avec un texte respectant scrupuleusement l'édition de 1869, jusque dans ses bizarreries et ses hispanismes, augmenté des 77 dessins de Magritte, dont 12 en pleine page, réalisés au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le peintre belge se réinvente alors complètement, avec un surréalisme en plein soleil qui, aux traits nets et aux aplats lisses de sa manière habituelle, substitue des courbes, des tracés tremblés et vibrants. Les illustrations de cet article sont toutes de Magritte, mais pas forcément de l’édition dont on parle.
L'ouvrage paraît en 1869, dans un relatif anonymat. Il est rapidement oublié, de même que son auteur, mort quelques années plus tard. Il faut alors attendre la période surréaliste pour voir la popularité de ce livre évoluer. Il a eu une grande influence sur le surréalisme : redécouverte d'abord par Philippe Soupault (en 1917), puis Louis Aragon et André Breton, l'œuvre de Lautréamont ne cessera d'être revendiquée comme livre précurseur du mouvement. Les surréalistes la projettent ainsi au devant de la scène littéraire du mouvement, admirant le génie avant l'heure d'un artiste incompris. Breton évoque en effet Ducasse plusieurs fois dans ses “Manifestes du Surréalisme” :
Beau comme la loi de l’arrêt du développement de la poitrine chez les adultes dont la propension à la croissance n’est pas en rapport avec la quantité de molécules que leur organisme s’assimile, Lautréamont. »
Il dit aussi dans un entretien : « Pour nous, il n'y eut d'emblée pas de génie qui tînt devant celui de Lautréamont. »
De même, « […] beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l'incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; [...] et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ! » était l'exemple type de la « beauté convulsive » portée en étendard par Breton.
Précurseur du surréalisme avec Rimbaud pour son rapport au merveilleux, Ducasse est aussi un dandy romantique à la manière du Baudelaire des “Petits Poèmes en prose”. Pour l’anecdote, c’était le livre de chevet d’Amedeo Modigliani et Long Chris, un des paroliers de Johnny Halliday a carrément piqué une ligne du premier chant pour écrire “Je te veux”, qui disait : Je suis le fils de l'homme et de la femme, ça m'étonne je croyais être davantage.
Ce que je vous souhaite dès maintenant c’est découvrir l’élan et la grosse claque que cela communique avec son humour très noir, son fantastique fulgurant et la critique d’une société cannibale comme le précisait Aimé Césaire. En gros, redevenir adolescent le temps d’une lecture qui efface le temps du XIXe siècle pour le faire entrer avec un pic à glace dans le suivant. Comment ne pas ?
Jean-Pierre Simard le 6/01/2021
Comte de Lautréamont/René Magritte - Les Chants de Maldoror - éditions Prairial