Butch McKoy et les beautés shakespeariennes
Se complaire d’une complainte, c’est contempler la contemplation… Si la citation est apocryphe, les mots sont ceux d’une sensation à l’écoute du nouvel album de Butch McKoy. Une oraison funèbrement poétique, éthérée et sonore : une amplitude de la complainte donc. Comme parangon d’une chanson frenchy et shakespearienne, autour de cette rose malade : The Sick Rose (de l’autre William)…
Loin des stéréotypes hexagonaux de ceux qui veulent sonner anglo-saxon, Butck McKoy sonne tout court ! C’est l’hallali de cette chanson française qui se rêve autre, alors qu’elle peut-être tout simplement elle-même, avec son folk-rock puissant, profond, ténébreux, idyllique et sensuel.
Les adjectifs abondent pour les compositions du guitariste qui chante comme il respire, à sombrer dans les réverbérations de sa guitare acoustique, comme si elle était électrique et retenir sa guitare électrique comme si son acoustique pouvait faire vibrer les cordes sensibles des corps amis…
Rien chez ce garçon n’avance masqué, tout est frontalement donné en pâture : une voix onirique, généreuse, comme peuvent l’être les voix d’une musique dite progressive, avec cette sensualité caractéristique aux voix présentes en live.
Butch McKoy qui joue depuis quelques temps déjà au théâtre dans les pièces de David Bobée, des thèmes où les acteurs ( et lui-même parfois ) se mettent à danser ; exprimant des pensées introspectives ou des sentiments plus violents, rappellent combien le musicien enregistre comme il joue. Il y a chez lui une sorte d’échappée, sorte d’issue inconnue du titre qui , crescendo, annonce le pire ou le meilleur. Mais là n’est pas le propos, puisque la puissance noise n’est pas l’ultime objectif du titre, mais son passage, sa nécessité, voir sa raison d’être…
Et lorsqu’on se dit que nous sommes là, dans le son saturé des espoirs, désespérant je ne sais quelle tragédie (à Billancourt comme ailleurs), alors, Butch reprend la guitare acoustique et œuvre à nous rappeler que tout est là, dans quelques accords qui sonnent, dans les ressorts d’un Fender, comme dans un film de Jarmush ou de Lynch. Chez Bobée, lorsqu’il joue, il y a (comme dans le Peer Gynt par exemple) une sorte d’ouverture sur la scène de théâtre, une échappée qui nous ramène à l’essence même de ce qui se joue à l’instant en notre présence commune : un mensonge qui dirait le réel, un réel qui ne mentirait pas - quand bien même il userait de tous les artifices - pour nous faire croire l’exact contraire. Les flammes sont pour l’enfer ; le feu, lui, lèche nos existences ici-bas et Butch en chante les braises encore rougies de tous nos péchés inavoués.
Longue et lente est la cérémonie à laquelle nous sommes conviés, entre chamanisme sous Bufoxine et vraies messes amérindiennes païennes, William Blake transpire dans les syllabes et on le sait, c’est un Dead Man comme le dit nobody dans le film de Jarmush…
Closer est le This is the end de Butch McKoy, son épilogue, sa fin éternelle, l’ouverture en trou de serrure où tout nous est révélé : l’essence poétique de la rose cramoisie, nos vies déjà pourrissantes, alors que nous sommes à peine en train d’aspirer nos premières bouffées d’oxygène, après avoir tant (et) goulument respiré dans l’eau, futur ex-noyés que nous fûmes, toutes et tous… Closer, comme une porte qui se referme voire une fleur qui se rétracte alors que le soleil décline ; une façon de se montrer rassasié de lumière, de vie et de joie. Une force douce à mieux ravager nos secondes de vie restantes.
Drôle de rose malade que ces vers qui déjà nous rongent et qui, après ces mois de confinement, résonnent en nous de manière bien trouble. Butch McKoy en prince de la nuit est la tempête hurlante du poème, une musique lancinante, courte de 10 pièces, pour simuler un unique morceau d’un solo sublime qui s’allonge jusque dans nos lits, nos repos, plissés dans les draps de nos rêves secrets de sombre amour aussi malade que la rose elle-même.
Alors que nous sommes encore coincés entre ce temps friable et fragile qui passe et ce temps de la vie, où déjà tout semble derrière, toujours. Alors qu’elle n’a jamais été si éphémère, l’album de Butch McKoy montre un chemin tempétueux, orageux, aussi bruyant que caressant, pour mieux en savourer la sève, la couleur et le parfum. Comme une rose qui quitte les ronces qui jusqu’ici la portaient et s’élevait dans les airs pour y déverser à jamais ses arômes mélancoliques…
Richard Maniere
Butch McKoy - The Sick Rose - Les Editions Miliani/Bruit Blanc