Les natures mortes nourricières de Sandy Skoglund
Vous avez déjà croisé ses chats verts assez envahissants, ses personnages, objets et ambiances venues d’ailleurs ( pour mieux vous y emporter … ) ; mais ce qui nous ravit aujourd’hui, c’est la redécouverte d’une série de Sandy Skoglund datant de 1978 qui participe à un événement à Göteborg, joliment intitulé Festin pour les yeux…
Food Still Lifes, frappe fort avec ses couleurs vives, ses motifs et les aliments transformés qui étaient populaires au cours des 70’s. L'œuvre capture quelque chose de typiquement américain : la poursuite d'un idéal. Des pois et des carottes, un gâteau marbré, des biscuits rayés au chocolat et quelque chose qui ressemble à du SPAM sont présentés au premier plan et au centre sur des fonds faits de papier contact à motifs de style kitsch. La distanciation s’y affirme tranquillement…
Dans une image, des pois et des carottes sont disposés de façon complexe dans un motif géométrique alterné au centre d'une assiette en papier avec des détails sur les bords. La plaque est posée sur une feuille de papier contact qui présente des quadrants infinis de différents motifs uniformes. La symétrie trouvée dans chaque zone des motifs de l'image organise la nature morte alimentaire en un produit final fixe. Dans beaucoup d'images, ce même jeu avec le motif est exercé. Les motifs répétitifs et simplistes des différents papiers semblent faire écho à la fabrication industrielle des aliments transformés. Et, en offrant un contraste majeur, la remette en question.
La série des natures mortes alimentaires fait partie du livre, Feast for the Eyes : The Story of Food in Photography, publié par Aperture en 2017. Un commentaire sur la production/consommation alimentaire est au cœur de la série de Skoglund et révèle certaines des racines du mauvais goût américain, malgré les tendances actuelles vers les repas de la ferme à table et les produits biologiques. Un peu tard, vous reprendrez bien une tartine de Merdella avec une tranche de pangolin ? …
Le rôle de la photographie dans le domaine de la publicité fait également partie de l'intérêt de Skoglund pour la prise de vue dans cette série. La présentation soignée de la nourriture produite en masse sur des arrière-plans gratuits semble se moquer de la façon dont les consommateurs sont manipulés par la photographie alimentaire. En créant des images esthétiquement agréables qui mettent en valeur la brillance, l'humidité ou les couleurs vives, le public continue d'être séduit par des illusions de fraîcheur et de saveur. Quelques images de la série n'incluent pas la nourriture. Cette série d'images utilise des papiers contact à motifs sur des boîtes contre des fonds qui présentent le même papier. L'effet crée un sentiment de discordance perceptive, obligeant les spectateurs à regarder de plus près pour comprendre les objets distincts de l'image, ce qui est peut-être un commentaire sur la nature dédoublée de la perception en général. Ce n’est pas le spectacle de la révélation, juste la révélation du spectacle.
Jean-Pierre Simard le 2/04/2020
Susan Bright - Feast for the Eyes, The Story of Food in Photography - Aperture 2017
Feast for the Eyes - Hasselblad Foundation, Göteborg, Sweden 2020