Le Maghreb K7 Club 80's débarque avec sa vision du milieu musical immigré
Quand resurgit le son des K7 qui circulaient de Lyon à Barbès, vers Belzunce et le Maghreb, pour rendre l’actualité de la culture vivante des immigrés d’ici qui parlaient d’un certain quotidien, en innovant à partir de leurs aspirations : c’est le Maghreb K7 Club.
Le premier titre, en vidéo ci dessus, est un son de 2020 issu du même sérail, puisque construit à partir de staïfi et de chaoui. La compilation, vous l’auriez compris traite de la scène lyonnaise entre 87 et 95. Mais avant, cette scène était majoritairement composée d'hommes originaires de l'est de l'Algérie et, depuis les années 1950, issue des cafés de la Croix-Rousse et de la Guillotière avec des musiciens venus de tout le Maghreb. Ces cafés étaient des tambours/carrefours sociaux, où ces individus se retrouvaient chaque semaine, jouaient ensemble et partageaient leur expérience de la vie quotidienne - mais ils ont également joué un rôle majeur dans le développement de la musique populaire des Maghrébins d'origine française. À Lyon, le But Café dans le 3e arrondissement ou les bars de la rue Sébastien Gryphe dans le 7e arrondissement en font partie : on peut y faire des affaires, s'y faire réserver pour un mariage, un baptême, un gala, une séance de studio... tout y passe. Et le son n’a rien perdu de son actualité.
Découvrir et partager un vivre (musical) ensemble était le but. La pratique de la musique était transrégionale avec différentes influences nord-africaines, mais aussi avec les traditions locales. Ces musiciens polyvalents absorbaient également de nouvelles influences locales : la musique dans le contexte de l'immigration est une école parfaite pour le cosmopolitisme musical. Des versions chachacha ou tango de certains morceaux de Cheikh El Hasnaoui viennent à l'esprit, ou encore les saccades et les rebondissements de Mohamed Mazouni que développeront plus tard Rachid Taha et Sofiane Saidi, chacun à leur manière, en l’emportant vers d’autres pistes musicales.
Comme leurs prédécesseurs, les musiciens de cette compilation intègrent brillamment des morceaux de raï ou de staïfi à l'esthétique disco ou aux riffs de guitare funk comme le faisait Nordine Staifi. On peut également penser à Salah El Annabi qui a utilisé le thème d’Oxygène (1976) de Jean-Michel Jarre, le compositeur lyonnais et pionnier de la musique électronique. "Comme on dit par ici, les mariages mixtes font de beaux garçons", a déclaré Abbès Hamou, musicien de la place du Pont. Dans le prolongement de leurs traditions musicales et d'une inventivité débridée, le répertoire des musiciens a naturellement assimilé l'esthétique et les technologies de leur époque, en en faisant des passeurs de son.
Conçu par Simon Debarbieux en Péroline Barbet, sous la supervision de Cyril pour Bongo Joe) et Pierro & JP pour Sofa Records, un instantané de ces années-là avec des chansons lancinantes et irrésistibles, tourbillonnantes et lascives, vestiges d’une époque enfouie. Le plus émouvant reste que ces pépites proviennent d’artistes inconnus. Le livret rend ainsi compte de leurs destins d’anonymes : Nordine Staifi, mort en 1989 ; Mokhtar Mezhoud, décédé, était chauffeur de bus ; Rabah El Maghnaoui, officie aujourd’hui comme chef d’équipe dans le nettoyage des trains à Lyon. Ce disque rend hommage à leurs vies, à leurs créations éphémères : des morceaux de mémoires, des fragments de l’immigration, qui racontent un bout de leur ville… Un héritage précieux, à chérir et à conserver. C’est dit !
J-P Wiki le 3/04/2020
V.A. - Maghreb K7 Club ( Synth Rai, Chaoui & Staifi) - Bongo Joe Records