Posthume Penderecki avec le London Philarmonic Orchestra

Le décès de l’immense compositeur polonais lundi dernier nous fait revenir sur une œuvre qui a marqué et marque encore les mélomanes du monde entier. Chacun a sa période préférée, mais même Aphex Twin a collaboré avec lui. De quelques notions à partager.

Né en 1933 dans une famille de mélomanes et d’instrumentistes, Penderecki a commencé à jouer du piano, puis du violon. Il compose ses premières partitions alors qu’il n’a que huit ans. Ne pouvant approfondir sa pratique du violon pendant la Seconde Guerre mondiale, il écrit ses exercices lui-même avec son professeur pour s’entraîner.

A la fin de la guerre il rejoint le conservatoire de Cracovie, dont il deviendra le directeur en 1972. Il avait auparavant remporté en 1959 le premier prix du concours de composition de Varsovie. Il fondera une Académie européenne de musique portant son nom, autour de son manoir à Luslawice, près de Tarnow, dans le sud-est de la Pologne. Rapidement reconnu comme un compositeur majeur de musique sérielle (StrophesAnaklasis). Il évolue ensuite vers plus de classicisme. Aussi distingue-t-on deux périodes dans son œuvre. Des années 1960 à 1970, il fait usage des instruments classiques comme des percussions, sur un mode atonal et sériel, recourant fréquemment aux glissandos ou aux clusters, et travaille le chromatisme avec audace. Son œuvre s’imprègne par ailleurs d’inspiration religieuse à partir de sa Passion selon Saint-Luc de 1965-66.
Sa seconde période commence à la fin des années 1980, en simplifiant ses compositions, revenant ainsi à plus de classicisme, comme dans son Requiem polonais, renouant même avec la tradition romantique. "Ma musique reste la même. Seuls les moyens (d'expression) ont changé", explique-t-il alors.

 Son influence musicale va jusqu’à l’électro, très inspirée par la musique sérielle, comme le compositeur SebastiAn. En 2011, le vieux maître a noué une coopération avec Jonny Greenwood, leader du groupe rock anglais Radiohead, et le compositeur de musique électronique Aphex Twin, tous deux admirateurs de son oeuvre. Leur rencontre s'est soldée par des concerts et un projet de disque en commun. "Je suis content que des univers musicaux différents aient pu se rencontrer. Et j'ai vu ce jeune public enthousiaste", se réjouit-il.

 Il était quadruple lauréat des Grammy Awards (en 1988, 1999 - dans deux catégories, et en 2017). Grâce à un dégel temporaire du régime communiste en Pologne à l'époque, ses œuvres arrivent à percer le rideau de fer et connaissent un succès international immédiat. Iconoclaste, il fait jouer feuilles de métal, sifflets, morceaux de verre et de métal frottés avec une lime, cliquettes, sonneries électriques, scies, machines à écrire ou sirènes d'alarme.

Le musicologue polonais Aleksander Laskowski expliquait l'importance de la musique de Penderecki dans l'histoire du pays : « Celle de Chopin pour l'identité de la Pologne au XIXe siècle, celle d’Ignacy Paderewski, devenu premier ministre, pour sa force politique, et enfin celle de Krzysztof Penderecki, qui a joué un rôle très important dans l’esthétique et la politique musicale de notre pays, notamment dans le domaine de la musique religieuse, pendant la période communiste. »

Cet album est constitué d’enregistrements de l'Orchestre philharmonique de Londres de 2013 et 2015, tous à l'exception du Concerto pour violon n°1, dirigés par Krzysztof Penderecki, le compositeur des quatre œuvres. Il associe un classique de Penderecki, la terrifiante Threnody for the Victims of Hiroshima (1960), à trois œuvres plus récentes : le Concerto pour violon n° 1, l'Adagio pour cordes (une transcription du mouvement lent de la Symphonie n° 3) et le Concerto pour cor de 2008. S'il est vrai que les compositeurs ne font pas nécessairement les meilleurs chefs d'orchestre de leurs œuvres, il s'agit là de prestations exceptionnellement convaincantes. La carrière de Penderecki, même selon son propre témoignage, est traditionnellement divisée en phases d'avant-garde et de néo-romantisme, mais ce que le compositeur-chef d'orchestre montre ici, c'est que la division n'est pas aussi approfondie qu'elle peut paraître. Le Concerto pour cor, pièce peu jouée, contient tous les blocs de son et l'utilisation structurelle de la texture que l'on retrouve dans les œuvres antérieures de Penderecki, et, bien sûr, la sinistre qualité picturale de la Threnody "d'avant-garde" a une esthétique romantique expressive. Toutes ces œuvres illustrent un autre aspect de la raison pour laquelle Penderecki reste l'un des compositeurs contemporains les plus joués : il donne beaucoup de travail aux musiciens d'orchestre, qui jouent donc sa musique avec enthousiasme. On peut commencer par le plus récent Penderecki.

Jean-Pierre Simard le 2/04/2020
London Philarmonic Orchestra - Krzysztof Penderecki (Horn Concerto, Adagio for Strings, Violin Concerto N°1, Threnodi for the Victims of Hiroshima) - LPO–0116