Se laisser totalement emporter par le Flood de Kreidler… 

Avec Kreidler on déguste, une fois encore, le charme vénéneux d’une hydre teutonne à quatre têtes et cinq vitesses mêlant : Bach, la disco, le postpunk, le club et le krautrock dans des proportions variables - avec une légèreté élégante. Sur Flood, le groupe élargit son approche de manière ludique avec deux nouvelles voix.

L’automne passé on avait vu Otto à Lafayette Anticipations qui avait réveillé le souvenir de Mouse on Mars et autres joyeusetés des 90’s, hésitant à faire le saut dans la techno, en gardant des bases pop - mais qui dépaysaient largement le propos. Et… Kreidler en était, de cette école, d’excellente mémoire. Retour vers ce Flood enchanteur - passé sous le radar, puisque sorti en fin d’automne dernier.

Thomas Klein, Alexander Paulick, Andreas Reihse et Detlef Weinrich se sont réunis à Düsseldorf l’hiver 2018 pour réaliser des maquettes, poursuivies avec d'autres sessions à Berlin. Le groupe a produit huit morceaux, dont "Flood I-IV" et "Flood V", un ensemble de cinq chansons qui - en termes de LP - remplit toute la deuxième face de l'album. Ben oui, des fois, le vinyle ça sonne autrement … 

Mais commençons par le début. La première face commence assez agréablement avec le doux roulement et le léger murmure d'"Eurydike". Emprunté à la mythologie grecque, le titre fait référence à la prétention d'affection comme moyen d'abandon. Le saxophone nostalgique, les notes de basse, le léger tremblement dans le son parlent tous de son réveil de la désillusion. "Celeration", la deuxième pièce, semble s'accélérer. Mais le rythme d'"Eurydike" est en fait maintenu. Le ton devient plus aigu, le rythme plus grinçant, le roulement plus énergique, la séquence appelle à un sacrifice. Un shimmy, un scuttle, un quart de pas : "Nesindano". La voix que vous entendez est Khoes, alias Nesindano Namises ; la langue que nous entendons est le Khoekhoe/Damara.

Un gong, un CR-78 se joint, un cliquetis, un scuttle, des mots s'envolent, un boom de basse, la voix s'élève, un synthétiseur FM ramasse les morceaux et les emporte, des cliquetis de percussion. Agit-Pop ! "Flood I-IV" n'est pas une question de modestie ou d'humilité. Il appelle à toujours exiger le maximum - de soi et pour soi - ce qui signifie aussi donner, et que chacun peut fixer ses propres limites tout en respectant les autres, en les acceptant et en aidant là où il faut. Ricardo Domeneck joue "Flood II" en regardant la mer au Brésil, les pieds dans le sable pendant quelques minutes, en se souvenant d'une conversation avec un géologue. "Flood I-IV" fait intervenir des synthétiseurs, des cordes, des percussions rouillées, des guitares entrent en dialogue, une négociation collaborative, un gonflement et une descente, une douche en couches transparentes, des coups sur le rivage, les têtes roulent, liquéfiant les hiérarchies et non les structures. Le "Flood IV" est une danse qui s'écoule dans le "Flood V", emportant avec elle son instrumentation et son ambiance, et la faisant passer dans un état entre une réflexion facile et une contemplation concentrée.

A la fois réminiscent et en quête d’avenir, le son de Kreidler enchante toujours à mixer époques, genres et … enchantements divers. Ce n’est pas Goethe sur son lit de mort réclamant plus de lumière !, c’est juste Baudelaire et ses Correspondances :
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

On aime beaucoup. Cela va sans dire.

Jean-Pierre Simard le 3/02/2020
Kreidler - Flood - bureau B