Colloque des télépathes : Sandra Mousempès fait parler les défunts
Entrechoquant tromperies victoriennes corsetées et illusions dansantes d’un swinging flower power, une redoutable poésie de dévoilement des secrets, portée par une voix aux visages toujours multipliés.
Certaines réponses se sont évaporées sur ce guéridon
Nous étions dans un corridor passant d’une certitude à l’autre sans pour autant faire tournoyer nos sensations
Il s’agissait peut-être de nulle part sauf si nulle part est une chambre à air, militant pour le prolongement des rêves éveillés
Tu affines une pensée, nous sommes entourés de terre glaise et d’une impression de déjà vu
Chaque trou représente une dissonance à recoudre le long de vies parallèles
Les enveloppes remplies de sirènes sont toutes tombées
Si nous perdons du temps à en gagner nous sommes nous-mêmes notre alter ego retenu dans un trou enduit de paillettes
Depuis 1992, Sandra Moussempès élabore pas à pas et note à note un impressionnant corpus poétique et performé, dont « Colloque des télépathes », associé à son cd « Post-Gradiva », publié aux éditions de l’Attente en 2017, constitue une étape décisive. Naviguant avec grâce dans les entrechocs d’une culture victorienne corsetée où les canulars proto-cinématographiques pouvaient éventuellement fleurir (le « spiritisme » des sœurs Fox est l’un des points d’appui de ce texte-ci, comme dans la « Théorie de la vilaine petite fille » de Hubert Haddad) et d’une pop culture éclatante dans les étés du Swinging London ou du Flower Power, elle tisse une trame serrée pourtant constituée d’ombres subtiles et diaphanes.
Bluffée par ma décoction d’épines et de ronces fripées je pense que parfois je déteins sur d’autres femmes, que je détiens leurs vérités ce qui n’est pas sans conséquences
Si les fées n’existaient pas il faudrait leur trouver de la place dans un coffre enneigé puis les sortir le soir pendant la trêve
Chaque fée deviendrait une chose vide et dure que l’on place à côté des convives.
Portée par les explorations sonores nécessaires de la chanteuse en elle (comme en témoignait très tôt ses collaborations au sein de la scène indie rock londonienne), et par le jeu des tessitures multiples (précieux cd joint, mais à découvrir aussi aussi sur les bandes sonores « Vox Museum » ou « Videographia », aux éditions Jou), la poésie ici ne se satisfait absolument pas d’une exploration formelle qui réjouirait néanmoins la curiosité d’un Peter Szendy (de « Écoute : une histoire de nos oreilles » en 2001 à « À coups de points – La ponctuation comme expérience » en 2013), ou qui résonnerait avec le « Chant-contre-chant » de Nanni Moretti et de Pierre Sky : les mots ajustés et la voix en transformation perpétuelle sont bien dans « Colloque des télépathes » les vecteurs souverains d’une critique, d’autant plus acérée qu’elle est d’abord discrète, des assignations sociales – et très souvent patriarcales – de tous ordres, des rôles figés tels que le langage dominant voudrait pouvoir les inféoder dans la (très) longue durée, des « stéréotypes masquant cruauté ou perversité sous une forme anodine de mièvrerie » (selon les mots, en substance, de l’autrice elle-même, qu’elle confiait à Emmanuèle Jawad en 2015 dans Poezibao).
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Liant la pensée au reste de la forêt
Nous ne voyons jamais nos interlocutrices ni leurs accouplements
Princesses corporelles cachées dans une armoire pleine de manteaux roses pâles
Hormis la séance de dentelles, qui ne veulent pas d’un thème agrandi à l’œil nu
Le poème est une entité comme une autre, il comporte des yeux et des paupières
Lorsqu’une silhouette flottante s’ébroue, quelqu’un voudrait la photographier
Mais ce qu’il voit ne s’incruste pas dans la pellicule, il s’agit d’une seconde preuve d’immatérialité, dont on donnera le film à la science
À la façon d’exagérer une posture nous découvrons un second indice sur les fallacieuses
Pas de poétesse plus rousse qu’une autre, ni de sœur habitant la France ou l’Écosse
Les boucles de cheveux d’une poétesse, collectionnées au siècle dernier
S’avèrent riches en molécules
Nous aurons la joie d’accueillir Sandra Moussempès à la librairie Charybde (Ground Control, 81 rue du Charolais 75012 Paris) le jeudi 6 février prochain à partir de 19 h 30 pour une lecture et une discussion autour de son dernier texte en date, « Cinéma de l’affect ».
Sandra Moussempès - Colloque des télépathes + Cd Post-Gradiva - éditions de l’Attente,
Charybde2 le 6/02
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