Jazzer contre les agressions avec Jeremy Cunningham, c'est bien
Basé à Chicago, le batteur Jeremy Cunningham a composé The Weather Up There en réponse à la perte de son frère Andrew, victime de la violence armée lors d'un cambriolage survenu il y a dix ans. La réponse est adéquate en même temps que résiliante qui transforme l’embrouille en un bien bel envol musical.
Le groupe comprend le bassiste/ synthétiseur/co-producteur Paul Bryan, le bassiste Matt Ulery qu’on entend sur trois morceaux, le multi-instrumentiste Josh Johnson et le guitariste Jeff Parker, qui est également co-producteur. Un groupe d'invités spéciaux contribue à colorier les paysages sonores du batteur et faire souffler différents climats sur un son destiné à manifester/dépasser les embrouilles de la windy city.
L'album démarre sans basse électrique mais une basse synthétisée avec un Sleep narré sur un ton rêveur, qui envoie aussi bien un archet de violoncelle solennel, une clarinette basse contiguë, des crécelles de percussion et des effets de synthétiseur. Cunningham entame ensuite une rêverie rythmée et chaleureuse avec une triple sensation de temps, sur laquelle un saxophone danse librement. Les deux autres morceaux sans basse sont All I Know, qui met en scène la trompette de Jaimie Branch planant au sommet de la batterie, et Elegy, où des extraits d'interviews de trois membres de la famille et d'un ami proche ont le rythme percutant du Chicago Drum Choir en arrière-plan. Accentuant les premier et troisième temps, 1985 met la guitare de Jeff Parker au centre, passant de la pop mélodique à l'ironie zappa-rock. Le guitariste montre des accords croustillants sur It's Nothing, un morceau pop/rock expressif qui, tout comme la ballade nostalgique He Pushes Up, est enclin au sadcore.
Le psychédélique The Breaks commence comme un collage poly-rythmique fait de saxophone retardé, de boucles de guitare spatiales et de figures de basse implacables. Tout est unifié par le rythme énergique de Cunningham. Cette ambiance particulière contraste avec le pacifisme de Hike; où un jazz lisse et lumineux à la George Benson se déploie avec des mélodies expressives. Le groupe sonde l'électronique ambiante pendant la phase initiale du morceau-titre grâce à un arrangement méthodique conçu avec des phrases en boucle et à l'accompagnement sans faille fourni par la basse et la batterie. Pourtant, le solo de Parker déclenche un changement d'atmosphère, moment où s'impose un funk soulful, mélodieux et groove. Et Cuninngham de vous faire suivre la voie qu’il a parcouru pour en arriver là, de l’apprentissage de la nouvelle de la mort de son frère à l’actuel dépassement/reconstruction qui donne lieu à l’album.
Au passage pour ceux qui survolent le texte, on y aura croisé autant Makaya McCraven que Jaimie Branch, parmi les invités - soit le gratin de la scène de Chicago, du côté des dernières sorties qui font avancer une musique actuelle qu’on se gardera bien de qualifier de jazz ou autre. Bon disque, belle prod pour dépasser un sujet scabreux, sans pour autant appeler au massacre de ceux qui l’ont perpétré… ou, quand la douceur mise en place ne vaut pas pour une vengeance.
Jean-Pierre Simard le 26/02/2020
Jeramy Cunningham - The Weather Up There - Northern Spy Records