Retour de "Nuits Blanches" de Luchino Visconti
Ici, un homme tombe amoureux d’une femme qui l’est déjà et va tout faire pour la conquérir. Le premier, c’est Marcello Mastroianni, la seconde, Maria Schell, et l’absent, Jean Marais. Adapté de Dostoïevski, c’est un film atypique et en décors reconstitués dans la filmographie de Luchino Visconti, où ne semblent se mouvoir que les deux personnages qui mènent le récit.
Déboulant juste après Senso qui avait ruiné le studio italien Lux, Le Notte bianche vont aussi être un échec public et critique ; les premiers ne comprenant pas l’intérêt d’une histoire d’amour en quasi huis clos, quand les seconds trouvent impardonnable que le leader du néoréalisme abandonne le registre en vogue alors là-bas. pour plonger dans une sorte de réalisme poétique qui n’avait pas la cote à l’époque ; ce type de cinéma esthétisant et théâtral étant regardé avec un certain mépris. Alors c’est vrai que Nuits Blanches est parfois guindé, voire même maniéré à certains moments, qu’il ne fait certes pas partie des œuvres majeures du cinéaste, mais il y a tellement de belles choses à en retenir qu’au final il ne méritait pas ce mépris et ces reproches, au point qu’en France nous ayons du attendre les années 90 pour découvrir le film en version originale. Après le bide de Senso et ses dommages collatéraux, Visconti et sa scénariste Suso Cecchi D’Amico voulaient une intrigue simple et aisée à filmer. Ils se rabattirent alors sur la nouvelle homonyme de Dostoïevski dont d’autres cinéastes très différents se serviront à nouveau plus tard, que ce soit Robert Bresson, Sanjay Leela Bhansali ou James Gray pour son attachant Two Lovers. Dur d’être d’avant garde quand personne ne comprend les enjeux, comme ici.
Alors que Maria Schell a tendance à cabotiner quand Marcello Mastroianni mise sur le naturel, Jean Marais semble passer au milieu de l’histoire sans un froncement de sourcil, quasi sans un sourire. Son jeu total en dessous contraste avec celui des deux autres mais, c’est également son personnage qui veut ça ; il y acquiert une certaine aura, celle imaginée par Natalia, celle de l’homme idéal renforcé par le fait que l’acteur soit d’une beauté irréelle et une star à l’époque. Il ne pouvait donc rien faire de mieux que ce qu’il a accompli ici ; son mystère demeure intact et il représente à merveille au final le triomphe du rêve et de l’imaginaire sur la réalité. Dans mon esprit, Visconti, tablant sur son expérience théâtrale essaye sans cesse de déborder de son cadre pour lui faire dire plus et essayer des trucs qui marcheront plus tard et qui sont ici à l’état d’ébauches via la forme du conte de fée.
Et, malgré ses défauts avec des séquences trop étirées, le maniérisme de certaines autres, et le jeu un peu outré qui empêche une vraie empathie envers les personnages, il faut quand même admirer les éclairages somptueux de Giuseppe Rottuno tout en ombres et lumières, la patte de Luchino tout en élégance à la mise en scène (voir comment sont amenés les différents flash-back), et la révélation d’un tout jeune Mastroianni beau comme un dieu dans des décors inoubliables. Sans vraiment pouvoir réaliser avec les plus grands films de Visconti, on a bien là un film entêtant, à l’image des trois thèmes écrits pour l’occasion par un Nino Rota en grande forme. Donc, à découvrir, dans les interstices, mais à découvrir vraiment…
Jean-Pierre Simard le 27/02/020
Nuits Blanches de Luchino Visconti avec Jean Marais, Maria Schell et Marcello Mastroianni. 1,27h 1957- distribution salles et dvd Carlotta