Les choses de la vie sautent toujours aux Douches la galerie
Si les années précédentes, les expositions ont mis à l’honneur la place de la femme dans l’histoire de la photographie, à révéler les parcours atypiques de Germaine Krull ou Claude Cahun, entre commandes, œuvres personnelles et reportages, les Douches ont décidé de mettre en avant certains autres, occupés à donner un cadre au quotidien, à l’intime et au quasi banal - mais avec une vision…
Les Douches la Galerie présentent Les choses de la vie, réunissant sous la direction d’Eric Remy, les œuvres de Marcel Arthaud, Pierre Boucher, René Jacques, Jean Moral, Roger Parry, Jean Roubier, André Steiner et René Zuber. Et, loin des grands sujets classiques auxquels la photographie s’était attelée en rivale de la peinture, ceux-ci tournent leurs appareils devenus, avec l’apparition du Leica et du Rolleiflex, plus maniables vers des sujets plus intimes et émotionnels, abandonnant les scènes pittoresques conventionnelles. Un nouveau registre prend pied, à tutoyer l’intime et le particulier, en sortant rarement de leur atelier.
Plus besoin du studio et des éclairages sophistiqués, de compositions alambiquées à la recherche d’effets surprenants : c’est le sujet qui s’impose et s’offre dans sa simplicité et sa banalité, mais riche de la poésie de l’instant. La scène est là et se donne à celui qui sait regarder.
Jean Moral en autodidacte déambule dans les rues parisiennes et capte par des cadrages audacieux des coins de Paris. Mais Juliette, sa compagne rencontrée en 1927, sera son modèle favori. Abandonnant les poses classiques Moral décompose son corps. Un bras, une jambe deviennent plus que des éléments de composition photographique : un objet de désir. Loin de la froideur des compositions qui tendent à l’abstraction, ses photographies sont pleines d’une tension érotique. Jean Moral effleure sa compagne avec son appareil, la peau est presque à portée de mains.
Avec André Steiner ou Pierre Boucher, les objets abandonnés retrouvent une deuxième vie. Voués à la disparition après tant de services rendus, ils les sauvent de l’oubli. Le désordre des objets abandonnés tente une dernière fois d’attirer l’œil. Poupées, mannequins, masques, pauvres doubles de notre humanité reprennent vie le temps de la pose. Parfois un effet lumineux, une ombre délicate réveille l’œil du photographe, abandonnant les sujets publicitaires auxquels il est habitué. Marcel Arthaud fixe l’ombre ondulante du garde-corps sur le voilage immaculé transformé en un instant en tissu graphique soulignant les pouvoirs mystérieux de la lumière. C’est au sein de l’atelier que Zuber est interpellé par les jeux lumineux dans les plaques de verre et la puissance graphique des casiers de l’imprimeur.
Si on trouvait une quelconque allusion au politique, cela deviendrait de la photo humaniste ( le terme muséal pour dire engagé) et si cela délirait un tant soit peu, on rejoindrait le surréalisme d’alors. Mais comme cela ne colle pas, on parle d’intime, de recherche sur la lumière et ses effets. Et l’affaire est bouclée… Mais l’intense poésie qui s’en dégage lui redonne son propre angle d’attaque, loin des chapelles.
Jean-Pierre Simard avec dossier le 17/02/2020
Les choses de la vie -> 14/03/2020
Les Douches, la galerie - 5, rue Legouvé 75010 Paris