La génétique aventureuse du Hopetown de Claudia Solal et Benoît Delbecq

Encore une fois, le piano préparé de Delbecq vous saisit au creux du cortex à jouer avec les mélopées poétiques proférées par Claudia Solal. Ici, un ping-pong s’établit en neuf manches ; toutes jouées jusqu’à dilution du propos et l’exacte cartographie du songe mis en avant. Et c’est de l’improvisation…  

Née à l’automne 2013, leur collaboration fut une évidence. Après les premiers concerts de  novembre 2015, à l’occasion d’une tournée organisée par l’association The Bridge à Chicago avec le quartet Antichamber Music, autour de poèmes de James Joyce et avec la bassoniste Katie Young et la violoncelliste Tomeka Reid, ils enregistrent, au studio ESS de Chicago leur premier envoi intitulé Antichamber Music sorti l’an passé. 

De retour en France, la paire décide de poursuivre et se retrouve à enregistrer des chansons improvisées à partir de textes de Claudia, aux titres évocateurs : No sake tonightInner othernessBurning greenUltimate embrace… Et en résultat de cette rencontre, ô combien singulière et nouvelle, naît ce Hopetown aux registres aventureux, singuliers et inouïs… 

Et, des pongistes en présence on dira … qu’il s’aventurent en dehors des pistes skiables du jazz - jazz ’s not dead, but it smells funny - disait Frank Zappa - pour aller voir ailleurs si l’air est respirable - et comment. Benoît Delbecq trimballe l’histoire du piano tau bout de ses doigts : jazz, contemporain, classique et plus, avec le toucher dû au piano préparé de John Cage qui le fait sonner à nul autre pareil, lui donnant autant de touches percussives façon forêt de bambou avec des fragrances de résonances aquatiques ( on pense à Tomoko Sauvage  ou Midori Takada) pour créer un brin d’ADN qui se déploie, sinue et enrobe la voix de sa comparse, lui donnant un répondant synchro, comme un fenêtre ouverte sur un monde en train de se créer à la voix troublante  d’une corporéité venue d’ailleurs. 

Claudia Solal par Tatiana Chevalier

Et Claudia Solal, justement vient d’un ailleurs dont les contours se trouveraient chez la Beth Gibbons de Portishead sur Inner Otherness, chez Jeanne Lee avec Ran Blake sur Low Voltage, ou bien encore à l’ombre tutélaire d’une Billie Holiday avec Mal Waldron In the Small of My Back. Et cette voix de corps, encore de se tordre, autre brindille d’ADN, et d’inventer tous sens mêlés, une autre façon de se dire, de s’exprimer, de partager  l’expérience de cette création. Il suffit d’entrer en Euphoria, comme on entre en méditation ( ou sous la couette avec un partenaire) pour que le déclic d’un nouveau monde se fasse. Monde à la sensualité explosive, comme un premier abord empli de potentialités qui se développent, se révèlent et s’amplifient pour devenir autre chose, en constante expansion (Have I Already become Myself, Am I abandonned to myself ?)  

Soit donc un album qui crée sa double brindille d’ADN pour repousser les frontières du duo, pour épouser un propos d’improvisation qui joue à toujours se trouver ailleurs pour mieux s’y retrouver et nous emporter, avec lui, dans un torrent  sensuel au charme irrésistible et à la puissance inégalée, genre partouze dans l’azimut (et les oreilles !) Strike

Jean-Pierre Simard le 11/02/2020 

Claudia Solal/Benoït Delbecq - Hopetown - Rogue Art Records