Se faire vriller par Fuzati avec le "Vanité" du Klub des Loosers
Une basse, un beat, quelques claviers et une voix laser pour démonter le monde, ses excès et ses erreurs. Personne n’en sort grandi, mais le son assure et le flow pointu envoie des baffes par poignée, les textes démolissent plus sûrement qu’avec une batte et envoient une idée du monde de 2020, en France - et en direct de Versailles. Le Klub des loosers est de retour : tous aux abris, ça va saigner.
Le Klub des Loosers fait son grand retour avec Vanité, son 4ème album studio, entièrement produit par son leader et membre unique Fuzati. Sous-couvert d’égo-trip et porté par l’humour noir qu’on lui connaît, Fuzati questionne l’orgueil de l’Homme, son rapport au succès et à l’échec à l’ère des réseaux et de l’auto-promotion… Plus misanthrope que jamais, il se place, tour à tour, en miroir du loser empreint de pessimisme et du winner présomptueux… Gagnants et perdants se confondent, aucun humain n’est à sauver.
Compter tes thunes et puis tout ceux sur qui tu n'as pas pu compter
Il t'aura fallu un cancer pour cesser de t'la raconter.
Sur ce nouvel album - qui n’est encore et toujours pas la suite et fin de la fameuse trilogie - Fuzati ouvre les portes de son Klub et invite deux artistes aussi inattendus que prestigieux, le rappeur belge Roméo Elvis (retiré de la dernière version, à cause des soupçons d’agression sexuelle qui pèsent sur lui) et le jeune chanteur et fondateur du groupe parisien Biche, Alexis Fugain. Musicalement, Fuzati a trouvé la formule gagnante qui lui correspond : des beats bruts faisant la part belle aux boîtes à rythmes qui ont jalonné l'histoire du Hip Hop (TR-808, Oberheim DX, SP 12..) sur lesquels se posent des mélodies pop entêtantes, aux sonorités 70’s (Fender Rhodes, Clavinet, Solina...), ainsi que des chœurs sur trois titres.
Dire le monde en lui rappelant qu’il est mortel - c’est la signification du terme vanité, plus généralement employé au pluriel - mais qui , ici, prend un sens global où rien n’est épargné. L’emprise est donc essentiellement de déconstruction des mythes en s’attaquant à la réussite, ou mieux à la pseudo-réussite (la win des crétins macronistes ?) Le rappeur reprend le travail commencé avec « Le manège des vanités » ou sur « Planétarium » (« Si ce monde ne tourne pas rond, c’est que chacun pense en être le centre »). Fuzati balaye d’un regard ironique autant qu’implacable ceux qui se gavent, ceux qui ont réussi ou hérité de cette réussite, mais n’hésite pas non plus à critiquer ceux qui se plantent ; comme sur « Qui perd gagne », il rappe : « Des paroles des perdants, s’rassurant en se disant : la santé, la famille, en fait c’est plus important. Ceux qui ne goûtent pas aux bonnes choses préfèrent se dire que c’est pas bon ».
“ Le monde s'divise en deux, y'a ceux qui croient et ceux qui croivent" Fuzati
Fuzati n’envoie pas dire/exècre autant ceux qui flambent de leur réussite que ceux qui, par fatalisme ou par flemme, préfèrent se dire que ce n’est pas pour eux. Personne n’échappe à sa plume : de ceux qui écrasent les autres pour arriver au sommet, ceux qui n’ont que l’apparence du succès (Champion), ceux qui essayent par principe sans vraiment se donner les moyens (Réussir), ceux qui font tout pour se faire aimer et s’imaginent une réussite (Joie de vivre), ceux qui ne font que parler d’eux même pour se donner une pseudo-importance (Moi, je), ceux qui se contentent de ce qu’ils ont (Le monde), ceux qui s’inventent une vie (D’or et d’argent), ceux qui misent tout sur une relation amoureuse vouée à l’échec (Billet de cent), Ceux qui rêvent, à perte, d’une vie meilleure (Courir), ceux qui s’achètent une réussite (Nouvelle vague), ceux qui se complaisent dans leur débâcle (Qui perd gagne), ceux qui se réjouissent de la chute des autres (Finisher)… Tout le monde en prend pour son grade et personne n’a été oublié, histoire de cerner au plus près la France de 2020, où les tenants du discours autorisé par le pouvoir s’ébattent comme des porcs à l’auge pour mieux cacher la misère qu’ils véhiculent en miroir de leur insignifiance.
Au début j'ai cru sincèrement qu't'étais retardé mentalement
Parce que j'oublie bien trop souvent à quel point j'suis intelligent
Si j'étais toi je me tuerais, mais comme j'suis moi tout c'que j'peux faire c'est te pousser à le faire.
Soient donc quatorze titres, sans un temps mort, servis par une virulence et une acuité immuables pour un album de hip hop haut de gamme qui joue avec les codes du genre/game tout en lorgnant, de ci de là vers la pop. Mais nul ici ne s’en plaindra, car rien n’est vain. Et d’ailleurs, je lui colle 18/20.
Jean-Pierre Simard le 20/10/2020
Klub des Loosers - Vanité - Ombrage éditions