“Musique Pour Le Film d’un Ami” : En 1975, Steve Potts Saute Du Free Jazz À La B.O. qui groove
En 1972, Bertolucci, Brando et Maria Schneider faisaient découvrir un Paris en plein bétonnage avec Le Dernier tango à Paris servi par la géniale BO de Gato Barbieri. En 1975, Steve Potts invite ses coreligionnaires de chez Steve Lacy à venir enregistrer son seul album sous son nom, la B.O. de Musique pour le film d’un ami.
Le film, c’est Sujet ou le secrétaire aux 1001 tiroirs de l’ami Joaquin Noessi, pseudonyme de Joaquín Lledó. Le sujet : un exilé politique espagnol vient en France pour y tourner un film sur les démêlés sentimentaux, culturels et politiques avec la société d’un groupe de jeunes maos ; aka la peinture d’un milieu marginal en vogue dans le Paris des 70’s. Au casting, on trouvait José Luis Aguirre, Joaquín Lledo, Marie-France, Juliette Noessi et Charlotte Trench. On n‘a pas vu le film, mais ce que raconte la B.O. du Paris de l’époque donne envie d’en savoir plus.
Enregistrée à Saint-Germain des Près, la bande-son va de jazz modal en free funk et de groove canaille en java wah-wah avec une élégance folle. À la blaxploitation, Potts et ses camarades opposent une mixploitation made in Paris que l’on applaudira bien au-delà des murs de La Défense qui, pour une fois, va rocker ! On va donc retrouver les compagnons habituels : Jean-Jacques Avenel, Ambrose Jackson, Kenneth Tyler ; mais aussi des musiciens de funk (le pianiste Frank Abel et le percussionniste Donny Donable, autres expatriés qui jouent alors dans le groupe Ice), d’agiles instrumentistes français (Elie Ferré et Christian Escoudé aux guitares, Joss Basselli à l’accordéon) et d’impayables touche-à-tout (Keno Speller aux percussions et Gus Nemeth à la contrebasse). Quant à la production, ce sera l’affaire d’un autre iconoclaste : Jef Gilson.
Un album à placer entre le Moshi de Barney Willen et les expériences tout azimut du Dave Pike Set (Mathar). Mais, à la place des pré-cités, Steve Potts, au lieu d’aller trouver l’aventure dans l’ailleurs de la musique voyageuse ( Afrique pour Willen et Inde pour Pike) envoie, bien avant Oberkampf, les couleurs sur Paris, découpant le ville en séquences qui ouvrent sur des espaces d’étrangeté, le fameux underground parisien d’alors de la fin des mouvements révolutionnaires qui se sont auto-dissous l’année précédente en ne choisissant pas la lutte armée, comme leurs homologues allemands et italiens. En 11 titres, Marie-France, Tango, Antigone, Bhagavad-Gita, Route 69, Java, Marie-Jo, Poème, Street Blues, Rock (La Défense) et Java, Potts et ses potes hument le feeling urbain d’une mutation en cours et d’un Paris si cosmopolite qu’il filerait une attaque à Zemmour 2020. Sur Street Blues, la voix de cet acteur qui conseille : « Écoute la musique ! Écoute la voix magique ! » c’est celle de Steve Potts, que Souffle Continu refait chanter aujourd’hui, en rééditant le seul album jamais publié sous son nom : Musique pour le film d’un ami, le disque fou d’atmosphères éclatées et éclatantes qui préfigurent le world mix parisien des années 80.
Le Paris cosmopolite plein d’espaces désertés qu’on voyait dans le Bande à Part de Godard en 1965 ou plus proche dans le Dernier tango de 1972 avec le XIV et le XV en voie de bétonisation, va bientôt disparaître jusqu’à l’horreur de la Place des Fêtes et de Belleville. Mais ce sera les années 80. Et ce sera une autre histoire qui offrira un autre puzzle culturel. Ici, Potts joue d’un Paris bigarré, gruyérisé, mais avec des entités reconnaissables et jouées comme telles. Souvenir d’un espace-temps, d’une déambulation situationniste qui hume la ville pour en saisir les arômes. Un excellent souvenir, un disque extra.
Jean-Pierre Simard le 2/10/2020
Steve Potts - Musique pour le film d’un ami - Souffle Continu