Le nouveau paradigme house de Theo Parrish avec Wuddaji : Underground Stuff
Le son qui déboule ici sur Wuddaji n’est pas totalement inconnu, puisqu’il retrouve la démarche du Carl Craig techno-jazz du milieu des années 90 et celle constante de Moodymann. Mais Ron Trent, sous son alias deep house, Theo Parrish a le mérite de théoriser un peu les choses. Bienvenue donc, dans cet underground stuff qui fait danser et reformule les données. Wuddaji !
Rebaptiser la deep house en 2020- Ron Trent déballe enfin la signification culturelle réelle d'une phrase que les terminologues de la musique de danse (principalement blanche) ont diluée avec leurs propres projections, accentuant les différences stylistiques plutôt que de célébrer les vertus connexes de la house, du jazz, du disco, du funk, de la techno et d'autres formes musicales noires. Sa définition factuelle et plus large de la deep house sert également de point de référence important pour Wuddaji de Parrish, le sixième album solo du producteur de Detroit, sur lequel il actualise cette notion originale d’underground stuff.
Pour cela, il reste fidèle à l'esprit origine lde la dance music, même en suivant ses propres affinités. L'esthétique de Wuddaji - piano Rhodes, synthés et percussions - peut sembler familière, les résultats visent à reformuler le son et les rythme des clubs. Une grande partie de l’album sent fort l’improvisation, comme si elle avait été composée (ou du moins mixée) sur place. Même s’il est hasardeux d'intituler ces teintes méticuleusement superposées "jazz", même si le jeu entre les touches et le swing en mutation se déplace comme une session de duo funk kaléidoscopique. Pourtant, cette énergie "live", dans laquelle des éléments minimaux sont constamment en conversation les uns avec les autres - des détails fabriqués à la main plutôt que synchronisés numériquement - est le trait distinctif de cette musique. Hot; hot; hot !
Cette qualité sonore “à la volée” est une constante de nombreux enregistrements auxquels Parrish a participé depuis la sortie du revogorant American Intelligence en 2014. On la retrouve sur ses quatre EPs "Gentrified Love", qui présentent des collaborations avec des musiciens de Detroit qui évoluent avec fluidité et expertise dans le rythme et l'improvisation, dont le trompettiste John Douglas, le claviériste Amp Fiddler et le producteur Waajeed, ainsi que sur sa production pour un quintet soul-jazz de Melbourne avec le claviériste Silent Jay et la section rythmique Hiatus Kaiyote. Le jazz a également été un élément central des légendaires marathons de DJ de M. Parrish tout au long de sa carrière, que ce soit sur le plan du contenu (il a fait tourner des disques par tout le monde, de Gil-Scott Heron et Brian Jackson à Incognito en passant par le label Black Jazz) ou de la forme (il a traité le mixeur comme son outil d'improvisation avec autant d'habileté que n'importe quel autre DJ pro).
Au lieu de réunir les musiciens dans un espace partagé et en temps réel, Wuddaji pratique des improvisations en solo, apprises en partie de ces DJ sets - rassemblant des sons enregistrés de longue date, en les adaptant à un nouveau contexte., "HennyWeed BuckDance" est le morceau festif le plus enlevé, qui oppose une guitare électrique bluesy à un piano électrique et une batterie lourde à la basse ; à 106 BPM, c'est un groove qui porte un autre nom et un candidat digne de toute histoire de l'âme. "This Is for You", chanté par la co-autrice Maurissa Rose, est un de ces hymnes instantanément classiques où se mêlent force et élévation, mélancolie et perte, qui s'alignent sur le travail héroïque quotidien. Sa mélodie à quatre accords renforce la répétition de la lutte quotidienne, le rythme se construit et se renforce, et la voix de Rose, tantôt suppliante, tantôt pleine de force d'âme gracieuse, équilibre toutes les idées ancrées dans une vie. Un single sorti à l'origine en 2019, "This Is for You" aurait facilement pu être un disque pour l'été 2020. Mais il semble que Wuddaji ait été réalisé en tenant compte de notre époque immédiate ; la vision de Parrish sur la musique noire existe sur une ligne de temps beaucoup plus longue. "Je pense que la musique issue de la diaspora doit avoir du poids", avait-il déclaré dans une interview l'année dernière. "Que ce poids soit une réflexion sur l'expérience. Si ce poids est une réflexion sur l'expérience. Si c'est un poids qui vous libère de ce que vous devez affronter. Ou un poids qui parle de leçons directes sur la façon de survivre à cette merde". Ce poids était dans les disques que Frankie et Ronnie ont joués, et il est là aussi.
Cela raisonne très fort pendant la campagne électorale américaine où les deux candidats en lice s’envoient des piques et jouent les prolongations sur les réseaux sociaux (twit, twit !!!) Alors qu’au même moment, on peut noter la sortie simultanée d’albums hip hop de poids ; comme ceux des revenants d’Arrested Development ou de Paris avec un nouveau Public Enemy assez rugissant et plein d’invités, la musique noire US n’a pas dit son dernier mot sur cette campagne lamentable. Cet Underground Stuff a de quoi rugir - et vous faire danser en toute conscience… C’est la vie, ma chérie !
Jean-Pierre Simard le 1/10/2020
Theo Parrish - Wuddaji - Sound Signature