A propos de confino et du rapport à la peau avec Steph Wilson
L’actuel couvre-feu qui régit les grandes villes, pour les semaines à venir, nous fait revenir sur le travail de Steph Wilson qui réfléchissait, au printemps du confino, à son rapport à l’image, au corps et à la chair qu’il induit. Ce n’est pas parce qu’on nous empêche de socialiser qu’on est obligé de rester passif…
Stephanie Wilson [née en 1992] est une photographe basée à Brixton dont le travail fait un pont entre la mode et les beaux-arts. Son travail se concentre sur le renversement des stéréotypes de l'industrie de la mode, sur la célébration du corps, sur l'exploration de la sexualité, en relation avec la reproduction et les difficultés sociétales propres à la femme sexuellement libérée .
Ici, Steph Wilson réfléchit à son rapport à la photographie au plus près de la peau et de la chair, pendant cette période d'isolement. Elle dévoile ainsi la première d'une nouvelle série invitant les photographes à réfléchir à des sujets centraux de leur travail. La peau et la chair imprègnent depuis longtemps son travail avec images en gros plan qui affinent leurs textures complexes, ainsi que clichés au grand angle, représentant une jambe allongée ou un mamelon dodu.
Le travail de Wilson est viscéral - vous pouvez sentir ce que vous voyez. Une peau brûlée et en sueur sous le soleil, de l'eau qui chatouille un corps nu, du jus de fraise qui coule dans le dos de quelqu'un. Elle fait abstraction des corps, en se concentrant sur leurs courbes et leurs couleurs ; de l’ellipse à l’universel.
Les représentations de Wilson ne sont pas explicites, mais elle capture l'essence de ses sujets en se concentrant sur leurs formes. Son travail est souvent politique, revendiquant les mamelons, les fesses et les organes génitaux féminins si souvent exploités et censurés par les médias sociaux, et la société en général. Wilson décrit ci-dessous l'une de ses images les plus charnelles, et sa relation avec les sujets de peau et de chair dans son travail, et au-delà. “L'envie de photographier la chair découle de deux aspects de ma pratique. Premièrement, la plupart de mes sujets sont des humains - ils sont charnus par nature. Le second est une relation plus viscérale que j'ai avec sa texture. Je suis également peintre à l'huile, un médium que j'ai toujours considéré comme apparenté à la chair. Que je peigne pour évoquer l'image de la chair humaine ou que je photographie la peau pour évoquer l'esthétique picturale, je ne sais pas trop. Ma formation en peinture m'aide à voir la chair comme un médium malléable et vivant. La lumière du soleil permet aux véritables tons de la peau de briller et de s'enrichir d'un éclat naturel, contrairement à l'éclairage de studio et au flash, qui ont tendance à aplatir et à atténuer sa vitalité. Le soleil donne à la peau une telle rondeur et une telle translucidité que l'on a l'impression qu'il la nourrit ou l'éteint. Le mot "viscéral" évoque toujours un certain sex-appeal et une certaine richesse de couleurs ; la chair est l'instrument parfait pour rendre ces connotations du mot explicites.”
J'aime à penser que les images de la chair dans mon travail rendent les gens affamés ou excités. C'est une chose charnelle, de jouir de la chair, n'est-ce pas ? Par exemple, quand vous regardez la jambe d'un bébé dodu et que vous avez envie de la mordre. J'aimerais que les gens se rappellent de ces pulsions.
Je vois la chair comme quelque chose de personnel - fusionnel et interne : un organe qui n'est politique que par les actions de la personne à laquelle elle est attachée, ou de ceux qui la regardent et des actions qui en découlent. Le contact humain tient du conscient et possède aujourd’hui un poids négatif bien plus important que celui qu'il a jamais eu pendant le confinement. C'est triste, car le toucher est une belle chose. Retirer de la vie quotidienne l'humanité et l'inclusion, souvent offertes par le toucher, semble aussi stérile qu’hostile.
Ainsi, pendant le confinement, j'ai presque totalement cessé d’observer dans les miroirs les défauts de ma peau - toutes les taches ou cicatrices - principalement parce que la seule personne qui me regarde est mon compagnon. Il peut chercher tout ce qui est nocif ou inhabituel, mais ce sera tout, car je ne ressens plus le besoin de me conformer aux stéréotypes de beauté quotidiens. L'isolement s'accompagne d'un manque de conscience de soi que je trouve assez agréable. Du recul et un sentiment de liberté retrouvée.
Mais, c’est aussi avec ses séries de mode pour Labatut ou Sinead O’Dwyer qu’elle remet du corps dans les images ; des images et des films qui gagnent des prix pour leur formulation décalée et leur culot. Plus qu’appréciable à l’heure des réseaux sociaux dirigés par des analphabètes pudibonds. Et oui Zuckerberg, c’est bien en ton nom que le moindre tit ou poil pubien n’a plus droit de cité dans les échanges des visiteurs de FB. Assez étrange, au vu du contenu des musées - et pas qu’européen. Ite missa est ? Non, pas encore et sûrement pas ici ou déjà là : Nike, Dazed & Confused, Document Journal, Revue, Mulberry, W Magazine, Riposte, Amnesty International, Puss Puss Magazine, Net a Porter, Vogue Italia, New York Magazine, Charles Jeffrey, So It Goes, Red Hooks Labs.
steph-wilson.com
Jean-Pierre Simard avec Hannah Abel-Hirsch le 19/10/2020
Peau, chair, etc. avec Steph Wilson