Lundi, moi oui, la revue des sorties musicales la plus singlée…
Carré d’as de ce début de semaine, Róisín Murphy, Numün, Leyla McCalla et Zazou/Bikaye. Un lundi paritaire sous couvre-feu. Donc, dans l’ordre et avec méthode : la sortie de taf avec Róisín dans les oreilles, le rumba électro de Zazou/Bikaye pour le dîner du soir, la lecture accompagnée avec Leyla McCalla et l’extinction des feux avec Numün. Pas belle la vie automnale sous couvre-feu crétin ?
Depuis ses premiers pas trip hop avec Moloko à Sheffield, en passant par un retour disco/free en 2015 avec Hairless Toys, Róisín Murphy avance vers son émancipation qu’elle affirme avec son actuel et entraînant Róisín Machine et son revival disco co-écrit par DJ Parrott, son vieux pote. Il accompagne Murphy dans son songwriting avec des productions amples et épaisses, précisément référées (de Moroder à la French Touch en passant par le handbag, la version britonne de la dance chantée), pour un résultat qui sent la wah-wah, les cordes façon Philly Sound et des arrangements revus à la mode 2020. C’est à la fois fun, fort et barré. Entre errances perso et disco-pop hyper commerciale, un joker qui s’inscrit dans le retour disco ( en force) actuel avec les bangers Narcissus ou Murphy’s Law . Mais aussi du velours au cartoon, de la hi-NRG tendue (Jealousy) aux mid-tempos crapuleux (We Got Together, Game Changer) pour redéfinir le genre et danser, danser, danser – même devant le buffet. Voilà bien à quoi on est en réduit… mais ça marche excellemment bien puisque cela traite de la période actuelle. Cela doit un choc, le casque sur les oreilles dans les transports en commun…
Cas de figure improbable, le second effort conjugué d’Hector Zazou et Boni Bikaye était sorti en 1985 et s’intitulait Mr Manager. Ils y déployaient un genre de funk-afro raide qui cogne à l’oreille et laisse des traces durables par son étrangeté. Fred Wallish au saxo y est remplacé par Philipe de la Croix-Herpin et Vincent Kenis s’occupe des claviers aux côtés de Zazou et d’Hollander, comme de la production d’ailleurs- on est chez Crammed… En 2020, ce serait du rétro-futurisme, sauf que 25 ans plus tard, c’est à la fois afro, techno et quelque chose d’indéfinissable de plus ( le son world développé fin 80/début 90’s à Paris ?) La version augmentée de l’année propose des titres non présents sur le EP 5 titres d’alors pour le transformer en album où le Congolais Bikaye envoie le bois avec des textes vengeurs, mais pas que. Viendez donc dans la faille temporelle avec eux. Pour un dessert dévorant, pas mieux !
Atelier lecture du soir avec le Vari-Colored Songs, A Tribute to Langston Hugues de Leyla McCalla ; Vous pouvez hésiter entre la nouvelle trad du Maître et Marguerite de Boulgakov, poussée dans les cordes du côté du théâtre par Markowicz et Françoise Morvan chez Inculte, ou bien lui préférer le Nickel Boys de Colson Whitehaed, dernier Pulitzer en date chez Albin Michel. Cet album qui s’attache à redonner la complexité de la culture et de l'identité noires, et un hommage à l'héritage du poète et penseur Langston Hughes. Auteur-compositeur et multi-instrumentiste, McCalla intègre les poèmes de Hughes à ses propres compositions, à la fois sobres et profondes. Elle les juxtapose à des arrangements de chansons folkloriques d'Haïti, la première nation noire indépendante et la patrie de ses parents, en exploitant les nuances de l'expérience des Noirs. La musique de McCalla tisse élégamment des influences haïtiennes avec la musique folklorique américaine, tout comme Hughes a incorporé le vernaculaire noir dans sa remarquable poésie, et la façon dont le Kreyòl haïtien est un phare pour la survie de l'identité africaine à travers l'héritage brutal du colonialisme. C'est une musique de revendication, imprégnée d'une puissance tranquille qui s'attaque à l'immense poids de l'histoire. Vari-Colored Songs a d'abord fait l'objet d'une sortie limitée en 2014, le New York Times proclamant : "[la] musique magnifiquement transparente de McCalla contient des nouvelles de la famille, de la mémoire, de la solitude et de l'inexorabilité du temps : des pensées lourdes traitées avec la touche la plus légère imaginable". L'enregistrement ressort en 2020 via Smithsonian Folkways à un moment où l'histoire que McCalla explore est plus pertinente que jamais. Comme elle le déclare dans les notes de la pochette de l'album, "La sagesse et la vérité que Langston Hughes continue à nous fournir grâce à sa production prolifique nous inspire à célébrer les parties supposées banales et stigmatisées de notre société. L'avenir a toujours été incertain, et il nous a toujours appartenu de faire pression pour obtenir les changements que nous voulons voir dans le monde".
Enfin, le Voyage au Soleil de Numün est une tout autre affaire. C’est l’album ambient qui fait rien comme les autres, un détour au soleil des délires du bassiste Bob Holmes du groupe de country cosmique SUSS, du guitariste Joel Mellin et du percussionniste Chris Romero du Gamelan Dharma Swara. Ces trois-là, en mêlant le psychédélisme opiacé de Brightblack Morning Light à un minimalisme lâche qui privilégie les effets subtils et les progressions d'accords progressives, obtiennent ces résultats grâce à des instruments traditionnellement étrangers au rock, tels que le dholak, le theremin, les gongs et le gender wayang. Sans arriver aux résultats d’un John Hassell, Numün relit à sa manière lente, et Brain Eno et Tranquillity Bass, en arpentant une voie parallèle à celle du Ry Cooder de Paris-Texas, voire de Calexico. Un peu d’ici connu versus beaucoup d’ailleurs suggérés. Un superbe premier album qui permet de dénouer les délires véhiculés par les chaînes d’info et vous couler en douceur dans les bras de Morphée.
Jean-Pierre Simard le 19/10/2020
Róisín Murphy - Róisín Machine - Skint/BMG
Zazou/ Bikaye - Mister Manager - Crammed Disc
Leyla McCalla - Vari-Colored Songs, A Tribute to Langston Hugues - Smithonian Folkways Records
Numün - Le Voyage au Soleil - Musique impossible records