Paris/Londres, deux modèles de migrations vues à travers la musique et son impact culturel

Avec l’effondrement des empires coloniaux français et anglais dans les années 60, les politiques ont été obligé de revoir les modèles d’intégration, en fonction de leur besoin d’accueil industriel et se sont construits des discours pour ce faire. Le modèle français appliqué, hérité de l’école de Jules Ferry disait que la culture était une et indivisible dans l’espace public, quand l’anglais reposait sur le communautarisme comme véhicule d’émancipation et d’intégration. Ici, comme là-bas, on ne sait plus trop quel en est le résultat. Mais voici un aperçu de son histoire avec la passionnante exposition au Musée national de l’histoire de l’immigration.

Comme le note Benjamin Stora, président du conseil d’orientation du Palais de la Porte Dorée, ce processus est une contradiction dans les termes : “ Ces migrations sont économiquement souhaitées mais politiquement refoulées. La fin des empires façonne ainsi des représentations autour des peurs de l’étranger. L’exposition compare deux histoires urbaines dont les voies sont inversées. La relation entre centre et périphérie engage des processus de paupérisation opposés : à Londres, la ségrégation touche les quartiers centraux alors qu’à Paris, c’est surtout la banlieue des grands ensembles. “

Il continue ainsi : “Ces zones de relégation de l’immigration vont être le théâtre, dès les années 1960, des révoltes contre la pauvreté, les violences et les discriminations. Mais aussi des espaces alternatifs animés par des artistes marginaux où des cultures underground se mêlent aux cultures immigrées. Londres précède Paris d’une décennie. Les affrontements de la jeunesse contre les violences subies y engendrent un militantisme qui va investir la musique comme canal principal des luttes urbaines. Il faut attendre la fin des années 1970 pour que Paris emboîte le pas en tissant des liens avec Londres. Une chronologie des mouvements antiracistes et des luttes politiques des immigrés rythme ainsi l’exposition, et montre comment s’opère l’hybridation des registres. Les lieux de production et de diffusion musicales, et plus largement les scènes artistiques, font des deux métropoles les hauts lieux de la créativité. Leur effervescence frappe l’imaginaire par la diversité et la densité des expressions issues de l’immigration. À la fin des années 1980, ce métissage politico-culturel devient le moteur de la modernité en Europe.

Souvenons-nous qu’en France, la célébration du bi-centenaire de 1989 avait donné lieu à une immense fête orchestrée par Jean-Paul Goude et que son pendant new-yorkais, organisé par Emmanuel Legrand, mettait en scène toutes les représentants de la France plurielle. Mais cela semble avoir existé il y a très très longtemps…

Du début des années 1960 à la fin des années 1980, de multiples courants musicaux liés aux flux migratoires ont transformé Paris et Londres en capitales multi-culturelles. Paris-Londres. Music Migrations propose un parcours immersif et chronologique pour traverser ces trois décennies décisives de l’histoire musicale des deux villes, et faire résonner un brassage inédit de rythmes musicaux avec les évolutions sociales et politiques, les transformations urbaines et les flux migratoires successifs qui ont marqué l’époque.

L’exposition explore les liens denses et complexes entre migrations, musiques, luttes anti-racistes et mobilisations politiques, en montrant comment plusieurs générations d’immigration dans ces deux anciennes puissances coloniales se sont emparées de la musique pour faire entendre leurs droits à l’égalité, revendiquer leur place dans l’espace public, et contribuer aux transformations à la fois urbaines, économiques et culturelles des deux pays.

Passant sans cesse de Londres à Paris, via images, affiches, objets, instruments vidéos et bornes sonores, le fil de l’exposition montre les différentes étapes des luttes des communautés via leurs actions culturelles, du montage du premier Carnaval de Notting Hill jusqu’à l’émergence de la techno, avec un final vidéo signé Martin Meissonnier qui est allé interrogé nombre acteurs anglais comme français.

En véritable expérience musicale et visuelle, l’expo présente plus de 600 documents et œuvres d’art liés à la musique – instruments, costumes, photos, affiches de concerts, vidéos, pochettes de disques, fanzines... – des prêts d’institutions comme le Victoria and Albert Museum mais aussi des ensembles issus de collections personnelles de musiciens (dont celle de Manu Dibango), un costume de Fela Kuti le « père » de l’afro-beat ou des réalisations de Jean Paul Gaultier.

Le parcours déploie de riches séries de photographes comme James Barnor, Charlie Phillips, Pierre Terrasson, Philippe Chancel, Syd Shelton et les différentes sections de l’exposition sont jalonnées d’œuvres et d’installations d’artistes contemporains – Saâdane Afif, Paul Villinski, Isaac Julien, Rose Eken – et des commandes ont été passées à Hervé Di Rosa et Martin Meissonnier.

La playlist de l’exposition fait entendre le reggae-punk de Poly Styrene, le makossa de Manu Dibango, le raï vintage de Cheikha Rimitti, le ska de Desmond Dekker, le r&B de Soul II Soul, le mandingue de Salif Keïta, le blue beat de Millie Small, la chanson algérienne de Noura, le punk sans frontière de Rachid Taha, l’asian underground d’Asian Dub Foundation, la rumba rock de Papa Wemba, le reggae roots d’Aswad, le chaâbi de Dahmane El Harrachi, la poésie dub de Linton Kwesi Johnson, le zouk de Kassav’, l’electro-rap de Neneh Cherry, l’afro-reggae d’Alpha Blondy, le reggae légendaire de Bob Marley, le raï moderne de Khaled, le rock métissé des Négresses Vertes, le rhythm’n’blues de Vigon, la juju music de King Sunny Ade...

Dans un contexte européen de repli national et de volonté de fermeture des frontières, l’exposition, qui ouvrira quelques semaines avant le Brexit, prévu le 29 mars 2019, se place au cœur de la plus brûlante actualité.

On se demandait dimanche avec Jacques Denis, lors du vernissage, si les Antillais étaient considérés comme des immigrés ou pas - la question reste ouverte. Une amorce de réponse est donnée par Jacob Desvarieux de Kassav qui, dans une interview vidéo, raconte que c’est seulement après avoir joué, en Afrique devant plus de 100 000 spectateurs dans des stades de foot, que son groupe a pu décrocher des passage télé, les programmateurs des chaînes ne sachant pas s’ils devaient les mettre à l’antenne comme groupe français ou étranger. Après cela, on comprend mieux comment Alain Peters, le Réunionais n’ai jamais connu, de son vivant, le succès.

Une exposition qui pose plus de questions qu’elle n’offre de solutions précuites , cela devient assez rare pour être signalé. D’autant qu’elle propose un cycle de conférences et de concerts, comme ceux-ci :

Si vous voulez tout regarder et tout écouter, un minimum de deux heures est nécessaire et conseillé; ça vous remboursera les 6€ déboursés à l’entrée. Allez-y, vous serez saisis par le fourmillement et le traitement du sujet . Plus que conseillé… 

Jean-Pierre Simard le 13/03/19

Hervé di Rosa

Paris-Londres. Music Migrations (62/89) -> 5/01/2020

Palais de la Porte Dorée - Musée national de l'histoire de l'immigration
293, avenue Daumesnil 75012 Paris

-> Tous les renseignements sur le site.