Tendance floue : Azimut, du M de Mutations au U de Ut.
Azimut, du M de mutations au U de ut, un projet du collectif Tendance Floue.
Azimut reprend le chemin interrompu, impromptu, irrévérencieux, intrépide, involontaire, du I pour le Mener au U qui suivra. Le M est une Mort et un pas, sage vers le UT, autre appellation de Do, début de la gamme, retour de la valse ordonnée des notes, des lettres, mieux, en principe renouveau du cycle, ainsi dans Azimut, un saut se fait, Mutations des énergies, Miroirs efficients, Mythologies des errances, Mystères des rencontres, Mouvances des paysages et des visages, des corps au repli de la Marche qui déploie le chemin, les chemins, car chacun des cinq photographes, Julien Magre, Stéphane Lavoué, Léa Habourdin, Fred Stucin, Marine Lanier, s’invente au fil de leur périple, petite odyssée personnelle et vivifiante. Le M est un Matin Mutant Mérité, Malin Maugréant vers ses Mutations existentielles.
Ce M s’étire donc du km 1926, à Decazeville, un certain 29 Juin 2017 à la prise de relais par Michel Bousquet, avec Julien Magre, pour finir à Salasc au km 2743, le 6 Août, au soir, soit quand même 817 kms parcourus sous les soleils jupitériens, exploit renouvelé à chaque publication qui séquentie et publie ces voyages au pied levé et au déclenchement souple, feuilletons de nos dérobées aussi, quand la Marche avec un grand M défait les volontés hirsutes et ouvre un espace de « contentement », voire de consentement. Une alchimie entre les corps et les têtes bien faites, les paysages traversés, les rencontres, a lieu, histoires de Voir et d’Écoute, de sensations et de sentiments. Tout ce qui meut les Marcheurs est une prise d’ aventures, provoquées, portées par certain(e) comme expérience véritablement Initiatique. Après les épreuves, une sorte de résolution entre en jeu, la quête de soi formule une transformation intérieure, intime, déploie l’épaisseur des fictions, des histoires qui se racontent au fil des pas, métronomes actifs, pulsations génératrices d’un Sphinx, qui surprend toujours lors du déroulement des pas. Certains des photographes se tiendront bien à l’écart de cette Tendance Floue, où se risquer devient danger, souffrances, désillusions, tandis que d’autres s’engageront sans réserve sur ces chemins fait de mystères et de dangers, peurs au ventre, tandis qu’éclatent orages, nuits, revers de fortune, et qu’ils avancent, presque métaphoriquement au centre de la nuit…
Une épreuve prend fin à chaque relais, ce qui s’est dévidé sur ces quelques 7 jours en moyenne, est un film, une narration, des images, un aparté entre ce que les textes avouent des différents ressentis et ce qu’ils énoncent, ce que les images montrent, un film donc à deux pistes, aléatoire, interstitiel, nourri d’un vécu, d’une mise en boucle, souvent riche et communicante, une façon de dire très directement, d’interpeler, de rendre compte, dans une quasi véracité de ce que les chemins ont provoqué et ont permis, des solitudes avouées et silencieuses, retenues, bénédictions, épreuves douloureuses,….aux explosions de silences, de bruits et finalement de joies passées sous silence.
Un parallèle se fait, au fil des jours, plus net, celui d’une structure pré-existante à cette aventure globale, avec la légende arthurienne et la quête du Graal, autrement développé par la Fondation Cérès Franco, récemment à Montolieu, qui semble résonner à travers la plus part des récits rapportés…. De loin en loin cette structure de l’expérience intérieure parait et fait sens, notamment chez les photographes au bleu regard qui ment…(Rimbaud)
Julien Magre donne une illustration à ce propos, il a pris la route et commence à trouver son rythme « spirituel » au second jour. Il prend le temps du regard et du silence, il s’autorise à contempler, pris dans un rythme auto hypnotique où son corps se nourrit du mouvement perpétuel de la marche. Jour 4 » … avancer, marcher, … un plaisir de sentir le corps exister. » se fait l’allié de la fatigue qui « est jolie quand elle est saine. » Il publie des images couleur prises à l’iphone, mises en abîme, incrustées en petit format dans des images plus grandes, couleur ou noir et blanc, jeux des profondeurs qui se figent sur le plan net de l’image, sur sa surface pour évoquer une profondeur, ou, tout au moins l’idée d’une profondeur. Julien Magre entre dans la danse, hypnose des profondeurs, sensations déréalisantes, silence majeur, son regard change, s’attache à l’essence des choses. Moins précis que d’autres sur une translation de l’expérience intime et d’un changement de cap en son processus de production visuelle, il place deux images en une, dans un rapport qui est censé ouvrir une temporalité ou un espace à cette poésie, vécue, et sue plus que transmise. Il évoque d’une façon asymptotique les rapports d’espace et les lieux qu’il réunit dans ces assemblages. Une lecture de son process est en cours au 4eme jour, il écrit: » Mes images sont passées en couleur depuis aujourd’hui.Je me rends compte que le noir et blanc n’est pas mon réel. » et ce, en même temps qu’il constate que la peur de la solitude l’a quitté et qu’il ne croise que de « belles personnes » sur le chemin. Suivent jusqu’au relais espéré, un abandon et une disponibilité à ce corps hypnotique, rêve éveillé, quand la fatigue met en veille la volonté et qu’une involonté prend en charge la conduite des choses…plaisirs supérieurs d’être en quelques sortes, guidé par son subconscient.
Stéphane Lavoué s’est enfoncé en romantique dans les paysages de l’Aubrac, du Puy en Velay, sur le chemin de Compostelle, qu’il prend à contre sens, selon les pèlerins croisés. La Nature retrouve une épaisseur, une sensualité, une vérité dans sa luxuriance jovienne, bohémienne aux formes pleines, les chemins semblent s’ être évadés des peintures des maîtres hollandais et flamands, ou sortir de vers rimbaldien. Les portraits des gens rencontrés, publiés en réserve des images de rochers et de roches, des grands champs couchés sous l’horizon quand la pluie et l’orage ont éveillé les essences vertes et que tout respire, embaume, ces portraits deviennent parties intenses de ce qui relie les êtres malgré eux et en eux. L’appartenances à un lieu, à une histoire commune, interroge beaucoup plus ouvertement toute la présence de ces hôtes à l’image; une topologie s’énonce, prend corps, corpus au sein d’ une histoire. La photographie de Stéphane embarque dans son épaisseur chromatique et son immanence tous les caractères qui entrent dans l’histoire de ces personnes rencontrées et dont il lit, miraculeusement, la présence dans toute la définition de leur histoire. Le texte permet de vérifier ce que les photographies mettent en évidence dans un succès avéré.
Léa Habourdin ouvre un chapitre sur une légèreté à mesurer, à éprouver, de Langogne à Genolhac, sur 118 kms. La photographe se mesure à la densité du monde, à son poids, elle remplit son sac de pierres et emprunte le chemin de Compostelle où elle croise nombre de pèlerins équipés high Tech, au souci premier d’alléger leur charge et de rendre moins pénible les efforts consentis pour se libérer psychologiquement du poids de leur existence. Léa, dans un effort mesuré, deux siestes par jour, évalue son parcours cévenole à la pesanteur de son corps lesté, pour le coup, d’autant de minéraux nécessaires à sa lente descente en apnée, en un ciel inversé, comme en une eau dolente, pour toucher une forme de vérité poétique qui lui est chère, semble t-il, celle de se situer hors d’une fascination ambigüe à propos d’une silhouette espérée et crainte, celle du loup, figure tutélaire et déplacements, dont le corps éternel de la Nature, Gévaudan, oblige, convoque orages, vent, roches, insectes, contaminations de l’invisible présence/absence, dont le loup évoqué semble bien être l’esprit totémique . Tout cela creuse son voyage, fixe ses peurs, la hisse vers la possibilité d’une présence supérieure à elle même. Mais, le Loup lozérois reste pourtant invisible… Métaphore connexe à toute opération photographique, à toute photographie, tenter de voir dans l’invisible les ombres qui croisent ces soleils aux augustes présages, pour en apprivoiser et en recevoir les dons. Ce qui s’éprend de ces belles photographies d’un pays mage, autrement happé par ses silences, est l’éternité de ces rochers, géants, anti diluviens, façonnés par les pluies millénaires, sédentarisant l’appel imaginaire des hurlements d’hier. des loups et des hommes, ce qui s’éprend ici semble s’évader vers le ciel….a la question loup, y es tu? répond la toute présence de la photographe en son unité reconstruite.
Ainsi, le fil des pages introduit un Fred Stucin noctambule et hâbleur, à la gouaille littéraire, la main à la poche, cherchant la belle histoire en matador pressé. Aussi, entre-t-il en réaction au bout des deux premiers jours pour se faire urbain, entre les kms 2364 et 2616, soit pas loin de 250 bornes quand même, ne veut pas lâcher ses repères de noctambules, de Saturday Night Fever, pour se couler dans les nuits d’Alès, Lunel, de loger tout bar digne de faire la fête et de mater les minois… Voilà qui fait scandale, qui s’abobiche, fait péter les tournées, traverse les nuits irréconciliables du chemin, fuyant la route et son ennui, ou, prenant soin de jouer le fière, le pas cuit, le rondeau, Immense Majuscule du M qui fait le Maître de Céans dans les bourgs Cévenoles…Ben, Dame, faut bien leur apprendre à vivre, à flamber…La Nuit, tous les chats sont gris, oui, tous, sauf le Fred Stucin, en roudoudou et rodomontades, TORO! TORO! Fred…
» Jour 3, Alès. Enfin la civilisation. De la ligth, de la zik, des bars, la night! Je commence au Cristal. On se chauffe sur ZZ Top, Sting et ce genre de conneries. mais c’est au Galway que ça se précise…j’ai fait le seigneur. tournée de rosé, de pina collada et de pisco for everybody. Quoi tu connais pas le pisco, va mourrir…. » et la ronde reprend de village en ville, coups de tric trac à prévoir, quand se termine l’aventure à Palavas Les Flots….Fred Stucin ne dira rien de ses marches forcées sur 250 kms, je le soupçonne quand même d’avoir appelé un taxi au dernier moment pour se refaire, histoire de jouer contre la montre, l’apéro, c’est Sacré!, et comme le disait un célèbre animateur aux lunettes noires pour nuits blanches: « exclu Lulu… » ou mieux, il faut aller au bout de sa nuit, épuiser la bête, attendre le petit jour et marcher, marcher, jusqu’à plus soif, sous les soleils de contrebande, dans le désert des passions, au bout du jour.
Marine Lanier prend le relais le 31 Juillet à Montpelier et conduit sa croisade, contre ses peurs également, une angoisse de voir son corps refuser de se soumettre aux efforts physiques nécessaires pour emporter l’épreuve jusqu’à Salasc à 137 kms. Le récit du premier jour les résume assez bien, elle se perd, se réfugie, angoissée et douloureuse, à la nuit, dans une grotte, où, pourtant une surprise a lieu, un cheval blanc l’y attend, somptueux, vision symbolique ou surréaliste, selon, d’une liberté qui se manifeste. L’épreuve dans son caractère métaphysique ouvre une porte sur l’imaginaire, ainsi, le lendemain, Marine perçoit-elle le visage d’Ange Noir d’Alexandre et ce regard est fêlé, issu de la prison d’enfants d’Aniane…lieu dédié anciennement aux peines d’enfermement, porté à la folie. Marine semble traverser ses enfers dont le saut de l’ange au pont du diable évoque une tentative de salut, pour ces mineurs qui se mesurent à la mort, épreuve initiatique évoquée ici, tant pour ceux ci que pour la photographe. Le 6 Août sonne une délivrance, une liberté a été conquise, la peur a disparu. L’avenir s’ouvre sur une figure essentielle du tarot de Marseille, la lame XXII, soit le Mat, résonance de l’arcane XI, la mort, par un effet miroir du texte aux images, du récit à ses preuves rapportées par la photographie, le chemin est toujours épreuves, la mort, symbolique, passage d’un état ancien à un état nouveau, Marine conquiert ses terres intérieures et par là, s’octroie la lecture des signes invisibles qui peuplent son chemin.
Que s’est il vraiment passé dans ce numéro 4, le M du Mat, évoqué par Marine semble porter une conclusion, ce M sera t-il Maudit, Mouvements, Maturités, Mono-Maniaque, Mutin, ce que l’aventure du projet dira dans le U…. U d’Ursule, cet Ours bien compris des rendez-vous d’exception, clef d’ UT et de contre UT… rendez vous est pris.
Débutée le 1er mars 2017 et clôturée le 19 octobre 2017, AZIMUT est une marche photographique de plus de 8 mois à travers le territoire français, menée en relais par 30 photographes. L’itinéraire de chacun est libre. Chemins creux ou routes goudronnées, lignes droites ou sinueuses, les marcheurs-photographes n’ont qu’un horaire à respecter : être à l’heure au rendez-vous fixé à celui ou celle qui lui succède
Pascal Aimar ● Thierry Ardouin ● Denis Bourges ● Antoine Bruy ● Michel Bousquet ● Guillaume Chauvin ● Gilles Coulon ● Olivier Culmann● Pascal Dolémieux ● Bertrand Desprez ● Gabrielle Duplantier ●Gregoire Eloy ● Laure Flammarion ● Léa Habourdin ● Mat Jacob ●Marine Lanier ● Stéphane Lavoué ● Julien Magre ● Bertrand Meunier ●Yann Merlin ● Meyer Flou ● Julien Mignot ● Marion Poussier ●Kourtney Roy ● Mouna Saboni ● Clémentine Schneidermann ● Fred Stucin ● Flore-aël Surun ● Patrick Tourneboeuf ● Alain Willaume
Ce nouveau projet de Tendance Floue se veut résolument ouvert. Trente photographes, dont dix-huit invités du collectif, en dialogue avec des écrivains, dessinateurs, peintres, scientifiques…
« A travers ces parcours, Tendance Floue souhaite faire l’expérience paradoxale de la liberté et de la contrainte qu’offre la marche. Le ralentissement du temps, la soumission à la météo et l’épuisement du corps changent le rapport aux lieux traversés, aux paysages découverts, aux rencontres possibles produites par ce lent déplacement. Le vertige de la liberté, la griserie de cette disponibilité rare à soi-même et aux autres, l’inhabituelle acuité du regard sur ce qui environne, tout autant. »
Azimut, le M, éditions Tendance Floue