Joe DiMaggio, héros américain et amoureux délaissé de Marilyn par Jerome Charyn

Jerome Charyn s'est attaché à l'amoureux éconduit de Marilyn Monroe. Mariée neuf mois au héros du baseball, elle quitta Joe DiMaggio pour Arthur Miller, mais fit appel à lui à chaque crise existentielle qu'elle traversa. Enquête avec un style inimitable et une chute magnifique.

En immersion profonde dans la mythologie américaine, à la poursuite de Jolting Joe ( Joe la châtaigne), Charyn trace le portrait croisé d'un amour impossible entre la star et lui, le héros d'un peuple : 

Il passait ses journées vêtu de pyjamas à rayures comme un grand enfant gâté doué de l’aptitude perverse à expédier dans les tribunes une balle de cuir cousue avec une telle dextérité qu’un homme sur deux dans le pays rêvait d’en faire autant …  à l'image d'un Goofy de bande dessinée; aussi à l'aise sur le terrain qu'impotent au quotidien. 

Une dualité qu'il partageait avec Marilyn, aussi tranquille au quotidien que fatale sous les projecteurs. Ce qui ruinera leur passion et l'obligera à le quitter pour réussir son rêve hollywoodien, au détriment de sa vie affective.  Joe est resté proche de Marilyn après son divorce avec Arthur Miller et jusqu'à sa mort en 1962. Il ne s'est jamais remarié. "Quand nous étions ensemble dans la chambre à coucher, c'était comme si les dieux se disputaient, il y avait des orages et des éclairs au-dessus de nous."

Ami de Sinatra, DiMaggio ne lui pardonnera jamais de l'avoir présentée au clan Kennedy. "Les Kennedy étaient des tueurs de femmes. Et ils s'en sont toujours sortis. Dans cent ans, ils resteront encore impunis", aurait confié Joe. "J'ai toujours su qui l'avait tuée, mais je n'ai pas voulu déclencher une révolution dans ce pays. Elle m'a dit que quelqu'un allait lui régler son compte, mais je me suis tu." 

Emmuré dans la solitude de son silence, il interviendra à chaque moment critique pour la faire sortir d'une clinique psy  puis, plus tard, identifier son corps à la morgue, organiser les obsèques, interdire l’accès du mémorial à l’intégralité de la bande à Sinatra et ces fumiers de Kennedy (sic!). 

Fidèle jusqu'au bout, il refusera toujours d'écrire ses propos mémoires, pour éviter de révéler la moindre anecdote sur Marilyn. A la mort de Joe en 1999, Paul Simon vient chanter seul avec sa guitare Mrs Robinson, dans le stade plein à craquer : «Où êtes vous allés Joe DiMaggio, nos yeux esseulés vous cherchent.“ Paul Simon pleure et célèbre Joe pour sa grâce et sa dignité, son sens féroce de la vie privée, sa fidélité à l'égard de sa femme et le pouvoir de son silence.

Si Charyn s'en était arrêté là, ce ne serait qu'un énième livre sur l'amour contrarié. Mais là où il fait fort, c'est quand il abat son jeu en déclarant que Joltin Joe était un écrivain dans son genre, un romancier capable de faire ses phrases et d'écrire le jeu avec les Yankees - qui n'ont jamais compris, mais sentis et agis comme tel -, derrière DiMaggio, en maître du jeu ; de l'écriture du jeu de l'équipe. Charyn parlant de baseball, c'est aussi bien qu'Antoine Blondin parlant cyclisme dans l'Equipe, à propos du Tour de France. Mythologique, une fois encore… 

Jean-Pierre Simard le 15/02/19

Joe DiMaggio par Jerome Charyn, éditons du Sous-sol/ Seuil