Du bonheur du trouble aux Filles du Calvaire

L’exposition Chronique du trouble rassemble trois artistes de même génération. L’un, allemand, travaille en France, l’autre, français, travaille aux États Unis, le troisième, brésilien, quand il n’est pas au bout du monde, travaille à Rio. Tout dans leur œuvre les rassemble, rien dans leur forme ne se ressemble. Que du bonheur, quoi… 

L’exposition travaille les prémisses du trouble, les petits troubles avant-coureurs, ceux qui, à l’échelle papillon, provoquent tout au bout de la chaîne, les lointaines catastrophes que l’on n’imagine pas encore. C’est une manière d’antidote !

Jan Kopp s’intéresse à ce qui manque à une image, lieu d’incomplétude, à ce que cachent et dévoilent les mots, à ce qui, dans la répétition, se dote de singularité irréductible, et à l’étrangeté du temps qui nous traverse, passe et s’enfuit alors qu’à l’échelle quantique, il n’existe probablement pas. Jan Kopp alterne travail d’atelier et œuvre collective, films, dessins, performances, installations. Il réalise pour l’exposition une installation in situ dans laquelle le cycle du temps et sa trace immobile seront les modestes héros.

Antoine Catala bricole des bidules extrêmement sérieux aux technologies low cost : logos rampants, aphorismes pneumatiques ou rébus sinueux. Les mots s’effritent pour dire quelque chose du monde. Les toiles respirent. L’humour affleure entre deux ou trois potentielles tragédies. Profileur de technologies empathiques, il réconcilie, à supposer qu’ils se soient fâchés, les deux versants de l’absurde et de l’efficacité.

Gustavo Speridião

Gustavo Speridião s’immisce entre l’histoire et l’histoire de l’art en s’appropriant des images célèbres d’actualité tragique, pour en faire des scènes signées Picasso ou Fontana. Ses sources d’inspiration, quand elles ne sont pas tout simplement prises dans la vie de tous les jours, sont du côté de Courbet, Malevitch, Chris Marker ou simplement dans les coins des murs graffités des villes. Cinéaste, peintre, photographe, orateur, il a la conviction que l’action peut changer le monde et que la peinture est action. À la fois image et message, toile, pancarte et bannière, l’œuvre a l’efficacité d’une lame acérée et l’évidence d’une réussite. Tour à tour poète et politique, sa forme erre à l’aune du temps des débats et des convictions. Gigantesques formats ou minuscules collages, la poétique des mots et la prégnance des couleurs qui s’y trouvent, revendiquent la force du présent. Et le message, littéral ou métaphorique, rappelle, et en appelle, au temps des convergences.

Les trois soli de l’exposition, l’ensemble des trois, trace un chemin à travers les étendues multiples que sont les œuvres, qui émanent, comme toujours, d’une quantité inépuisable de causes.  Ce qui intéresse ici, ce sont moins les « causes inépuisables » que les conséquences multiples de leur association, c’est à dire la nature du chemin et la poétique du moment. Tout commence avec l’agencement primitif des images et des mots, et ça commence pour nous au néolithique, et s’achève tout au bout des chaînes d’interprétation aux simultanéités magiques et aux combinatoires recomposables à l’envi. Quid de l’anthropocène ?

L’œuvre comme moteur de recherche. L’exposition comme trouble sympathisant.

Thierry Raspail, commissaire d’expo.

Chronique du trouble → 11/01/20
Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-calvaire 75003 Paris