De Palma rétif aux questions de ses interviewers
Massacré par Frédéric Bonnaud dans les Inrocks à sa sortie, quelques lustres plus tard, ce livre-somme a quand même emporté l’enthousiasme de la critique et du public ainsi que Prix littéraire du Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Pourquoi le ressortir, actualisé 18 ans plus tard, par un éditeur vidéo comme Carlotta ? Ben, parce qu’après avoir réédité De Palma, il fallait un livre compagnon aux sorties dvd et autres …
Citons le Bonnaud en question qui constate que les auteurs se laissent mener en bateau par le réalisateur qui en fait des tonnes sur son travail d'inventeur de formes, sa façon de puiser dans le corpus hitchcockien pour métamorphoser et exaspérer des thèmes et des motifs, et ainsi se les approprier. Face à cette question centrale de la (dis)continuité maniériste, il adopte une position défensive, voire arrogante. Il tient à démontrer que son cinéma est autre chose qu'une copie dégradée d'Hitchcock, voire une "amélioration" du Maître, ce qui paraît à la fois prétentieux et réducteur. "Ces emprunts que l'on me reproche tant, c'est juste une manière de collecter du vocabulaire pour ensuite écrire mes propres phrases" .
Pourtant, c’est bien De Palma qui file à Travolta un de ses plus beaux rôles dans Blow Out ,après avoir statufié Stephen King et la très saignante Sissy Spacek dans Carrie et donné à voir un film rock remarquable avec Phantom of the Praradise, inventé le film rap par excellence avec Scarface ; puis, en devançant la politique des blockbusters actuelle par Les Incorruptibles et Mission : Impossible. Au finish, on est loin d’un quelconque didactisme hitchcockien. Non ?
A propos du choix de ses scénarios, on laisse la parole aux auteurs :
« Comment vous déterminez-vous par rapport à un matériau, qu’il s’agisse d’un livre ou d’un scénario ?
Ce qui déterminera toujours mon choix, c’est le potentiel visuel d’une histoire. En la lisant, les images doivent me venir à l’esprit, je dois immédiatement avoir des idées sur la manière de filmer telle ou telle action. Ça peut être l’écran partagé, comme dans Soeurs de sang, ou la longue scène de ralenti au bal dans Carrie. Je pense également à la scène d’évasion de Gillian dans Furie. De plus en plus, mes films se structurent autour de trois ou quatre grandes scènes visuelles, qui pour moi contiennent tout le film. Mon travail ensuite est d’aménager des transitions entre ces scènes et de faire tendre le film vers la plus spectaculaire de toutes. On trouve ça aussi bien dans L’Esprit de Caïn, que dans Scarface, Blow Out, L’Impasse ou même Mission : Impossible. Je ne m’intéresse pas à des sujets où l’action est essentiellement convoyée par le dialogue. Ou alors, il faut que ce soit du dialogue brillant, comme chez David Mamet.
Pourtant, là où tout le monde est d’accord, c’est sur le boulot des auteurs sur les éléments biographiques fouillés qu’ils font avouer au réalisateur. Et là, on est servi : on ne savait rien ou presque de la vie de De Palma, de son enfance ou de ses années de formation, et on s'aperçoit ici à quel point il malaxe des thèmes autobiographiques en les coulant dans du spectaculaire. Cette dimension personnelle de l'œuvre est enfin mise à jour, et des sujets aussi récurrents que la gémellité ou de l'impuissance face au danger de mort trouvent un nouvel éclairage, plus intime. De la même manière, le côté "cinéaste des sixties" de De Palma, doté d'une grande part de révolte et de méfiance face aux pouvoirs, est bien mise en évidence. On rappelle que De Palma a fait tourner De Niro en 1969, dans The Wedding Party où il est d'ailleurs crédité "Denero", cela avant Scorsese…
Cet immense metteur en scène a réalisé 25 longs-métrages, exerçant son talent dans des genres aussi différents que le thriller (Sœurs de sang, Obsession, Pulsions, Blow Out, Body Double), le film d'action (Scarface, Les Incorruptibles, L'Impasse, Mission impossible), le fantastique (Carrie, Phantom of the Paradise), le film de guerre, la SF et la comédie. De Palma est l'un de ces wonderboys qui, avec Coppola, Scorsese, Lucas et Spielberg, ont bouleversé le cinéma américain des quarante dernières années. Et on termine, en disant que pour les amateurs, le cadeau de Noël est assez bien vu.
Léo Marque-Page le 29/11/19
Brian De Palma - Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud - Carlotta éditions