Réécrire-disent-elles : Vanessa Wagner et Pauline Kim Harris
Pour terminer en beauté une semaine de musique féminine qui a vu passer Jaime Branch, Yazz Ahmed, Kim Gordon et Angel Bat Dawid, on va s’occuper un instant d’un autre axe; après le rock et le jazz, les nouvelles du front d’une musique dite classique, qui n’en peut plus de certains codes. Pour notre plus grand plaisir, du côté de Vanessa Wagner et Pauline Kim Harris, la relecture/recomposition est à l’œuvre. Elle fait des prodiges.
Le piano de Vanessa Wagner nous avait séduit qui tentait dernièrement de mettre en lumière le répertoire minimaliste contemporain sur Inland. (InFine) Mais, c’était avant de se faire remixer par quelques pointures de la scène électronique et de faire dériver, avec un nouveau bonheur, ce répertoire vers un son électronique habité et défricheur sur son nouvel envoi Inland Remix (InFine) qui voit six des 14 titres du premier joués par Wagner décomposés et revus par aussi bien : Suzanne Ciani, Nadia Struiwigh, Vladislav Delay, Marc MÇlia, GAS qu’Huema Utku. Quand l’électro se livre à cette altitude, on ne peut que manifester son plaisir d’écoute et la satisfaction de voir enfin se rejoindre dans un même élan, contemporain et électronique pour mieux gommer d’inexistantes frontières, telles que définies par les labels et les registres musicaux spécial pingouins. Démocratie du son, quand tu nous tiens ! La relecture du Elf Dance de Moondog par Suzanne Ciani est une totale réussite qui fait voyager loin et en douceur. On va ici lui préférer le Hudson Cycle de Nico Muhly, revu et corrigé techno par Marc MÇlia, plus techno dans son approche… C’était le versant parisien du propos, envolons-nous maintenant vers New York et le violon de Pauline Kim Harris.
Pauline Kim Harris est un phénomène de l'avant-garde new-yorkaise et son travail l'a menée partout dans le monde autant comme violoniste virtuose que collaboratrice d'artistes et d'ensembles de premier plan. En collaboration avec le compositeur/sound designer Spencer Topel, Harris a créé deux œuvres pour l’album Heroine, sorti sur Sono Luminus : Ambient Chaconne, une reprise de la Chaconne en ré mineur de Johann Sebastian Bach, et Deo, autre pièce ambient, basée sur le canon à 36 voix de Johannes Ockeghem, Deo Gratias. Ces arrangements acoustique-électroniques créent une atmosphère transcendante, élargissant le matériau original en une myriade de combinaisons et de résonances qui suggèrent un versant métaphysique au potentiel de la musique ambiante.
Harris a dédié ces pièces à des êtres chers qui ont souffert dans cette période chaotique et troublante, et la nature apaisante de sa musique est destinée à guérir, plutôt qu'à défier ou à diviser. Ambient Chaconne conserve une grande partie des sonorités et des formes musicales de l'original de Bach, bien qu'au cours de ses 42 minutes, la musique évolue et acquiert un sentiment mystique et expansif qui va au-delà du pouvoir du violon solo de transmettre l'infini. Deo, avec ses multiples couches de canon d'Ockeghem traitées comme une boucle de milliers de parties, suggère un chœur angélique en toute splendeur et beauté. Les deux œuvres, avec leurs teintes contrastées qui jouent du baroque à coups d'obscurité et de lumière, donnent à cet album un aspect équilibré et assez fascinant aussi apte à émouvoir qu’à construire un autre pont entre des genres qu’on entend assez peu souvent cousiner de manière si plaisante et efficace. C’est superbe !
Si les virtuoses se mettent aussi à composer/décomposer, la musique électronique va gagner en audience et en visibilité. Et comme il n’existait déjà pas de frontière entre Aphex Twin et Phil Glass, on peut dire sans détour qu’au vu du champs jusque là répulsif (par son apparat) de la musique classique, un univers tout entier vient de s’ouvrir à un large public. Vous avez dit répertoire ?
Jean-Pierre Simard le 18/10/19
Vanessa Wagner - Inland Versions - InFiné
Pauline Kim Harris - Heroine - Sono Luminus