Ecouter les images avec Jon Hassell
Aussi révéré par le monde de la techno que celui du contemporain, Jon Hassell remonte au front pour un nouvel album, le premier qu'il produit depuis 9 ans - Listening To Pictures - Pentimento Volume One avec un joli pas de deux qui emprunte autant à ses nouvelles collaborations qu'à une relecture de titres anciens jamais finalisés. Et c'est toujours aussi bien !
Le pionnier de l’ambient, qui fut squeezé par Brian Eno et Byrne sur My Life in the Bush of Ghosts reste dans ses marques concernant la Fourth World Music, à base de tabla, bourdons, air comprimé et sons glissants - définie à l'aube des 80's comme un son primitif et futuriste qui combine les caractéristiques de styles musicaux ethniques aux techniques électroniques les plus avancées». Lui qui fut un des premiers à envisager les traditions musicales à travers le monde comme autant de monades à dissoudre et mélanger. Mais, si on révère le trompettiste c'est pour son art consommé de perdre sa trompette, dans des paysages électroniques grouillants et accidentés comme on en trouve peu, même dans la musique la plus aventureuse de 2018. Paysages plus proches de ceux du duo électronique britannique Autechre, par leur densité en perturbations, que de ceux dépeints par ses grands maîtres à jouer, que ce soit avec son professeur de Darmstadt, Stockhausen, le minimalisme de Terry Riley ou le jeu avec le silence de Miles Davis. L’idée, derrière l’insaisissable boucan, étant que de nous apprendre à écouter des images, en mode inversé de celui rêvé par Vassily Kandinsky à vouloir nous faire entendre la peinture.
Jon Hassell a été marqué, dans les années 80, par la Xerox Culture des producteurs de rap, comme Hank Shocklee du Bomb Squad, à l’origine des instrumentaux de Public Enemy. Mais, après une décennie 2000 entourée de musiciens traditionnels (Ry Cooder, Jacky Terrasson…) à se rapprocher d’un certain classicisme jazz, le vétéran de 81 printemps s’est enfermé en studio avec un collectif d’expérimentateurs de formes et de textures ( Peter Freeman ou Michel Redolfi, pour l'électroacoustique et la musique «liquide») pour réinventer son idiome à partir d'autres terrains d'action.
On navigue au fil de l'album sur des frontières mouvantes aux limites de: jazz, world ou ambient pour envisager un monde contemporain, hypnotisé par la symphonie de timbres doucement chaotique produite par les cloches toutes différentes d’un troupeau de chèvres - ainsi que Jon Hassell décrit son inspiration pour ce premier volet d’une série d’albums, dont le titre, «Pentimento», désigne la «partie du tableau qui a été recouverte par le peintre pour modifier en profondeur la toile». A vous donc d'envisager les images fournies par la musique évolutive d'Hassell et de ses présents sbires qui voyagent d'un monde à l'autre, voir vers les quatre présents… tels que définis par le maître himself. Et, comme d'habitude, c'et mieux au casque, au-delà de la précision du son de la trompette (aussi!). Grand album, on ne dit que cela.
Jean-Pierre Simard le 18/06/18
Jon Hassell - Listening To Pictures - Pentimento Volume One - Ndeya