Al Musiqa à la Philarmonique se la joue en voix et musiques

Quand la musique arabe fait aujourd'hui étalage d'une imposante vitalité, l’exposition Al Musiqa se veut un manifeste pour la sauvegarde d’un patrimoine culturel en danger.

La poésie du désert: Avant la naissance du prophète Muhammad,  il existe une vie culturelle extrêmement riche et raffinée qui s’épanouit aussi bien dans les villes que dans le désert, où la poésie est reine. Dans une culture où la langue est première, la musique puise sa source dans cette poésie dont elle magnifie le rythme et la composition à travers le chant. L’art vocal était aussi l’apanage des chameliers qui traversaient les vastes étendues désertiques en déclamant des mélopées appelées huda, dont le rythme était calé, dit-on, sur celui du pas du chameau, tandis que le nasb désignait le chant des jeunes bédouins. C'est l'intro de la partie pré-islamique, puisque tel est le déroulé de l'exposition - un peu comme si pour arriver aux drones musicaux actuels, on passait forcément par le grégorien … 

Islam et Musique :  à la naissance de l’islam au VIIe siècle, les villes de Médine et de la Mecque prospèrent et leur vie culturelle s’enrichit, tandis que certaines qaynats (esclaves-musiciennes venues de Perse) atteignent le rang de véritables stars, comme Jamîla et ‘Azzâ al-Mayla. Néanmoins, invoquant le fait que la musique détournerait le croyant de la piété, une certaine méfiance s’instaure à son égard, s’appliquant surtout à l’usage des instruments de musique qui rappelaient trop les cérémonies polythéistes.

Par ailleurs, même si le terme de « musique » reste problématique, il est important de souligner la place centrale de phénomènes mélodiques dans l’islam : l’appel à la prière (al adan) et la psalmodie du Coran (tajwid) dans la pratique  ; les chants accompagnant les fêtes religieuses telles que le mawlid, célébration de la naissance du prophète, ou bien les pèlerins durant leur trajet vers la Mecque. Ainsi, on peut dire que l’islam ne bannit pas la musique mais qu’il cherche à en limiter les effets physiques et à en spiritualiser la perception.

La musique de cour, de Damas à Cordoue : 661 marque le début de la dynastie des Omeyyades, fondée par le calife Mo’awiya. Le centre de l’empire musulman se déplace alors de l’Arabie à Damas, désormais grande capitale des arts et de la culture où la langue arabe devient un vecteur d’unification pour des populations très mélangées. Mélomanes avertis, Mo’awiya et ses successeurs encouragent et protègent poètes et musiciens. Auparavant domaine de prédilection des esclaves musiciennes, la pratique musicale s’ouvre à d’autres acteurs, notamment des hommes libres, favorisant la montée en puissance d’une société de jouissance qui attire la méfiance des religieux.
En 750, les Abbassides renversent les Omeyyades, le pouvoir se déplace à Bagdad où la vie intellectuelle et artistique connait un véritable âge d’or. Les connaissances musicales font désormais partie de l’éducation de l’honnête homme. Les califes, mais aussi les nobles, se font mécènes et s’entourent de musiciens.

Les musique mystiques : Avant l’invasion arabe, des influences musicales se font déjà sentir en Afrique en raison de la proximité de certains pays de la côte Est avec la péninsule arabique. Suite à l’expansion de l’islam au nord mais également au sud du Sahara, de nombreux échanges culturels se développent. Les langues vernaculaires africaines continuent à être parlées dans la vie quotidienne et la langue arabe est véhiculée par l’apprentissage du Coran et par l’appel à la prière, tous deux prenant une coloration et des accents locaux.

Courant mystique de l’islam, le soufisme se développe sous formes de confréries en Afrique du Nord à partir du XVe siècle et en Afrique subsaharienne à partir du XVIIe siècle. La pratique des disciples est notamment composée de chants dévotionnels, dont le répertoire musical importé d’Orient s’enrichit des modes arabo-andalous et de formes locales.

l'Egypte, mère du monde au XIXe et XXe siècle : Longtemps reléguée à la périphérie de l’empire musulman sous domination ottomane, l’Égypte devient, au XIXe siècle, le nouveau centre du monde arabe. C’est sous le règne d’Ismaïl Pacha (1863-1879) qu’une transformation profonde du pays aboutira à la Nahda, la renaissance politique et culturelle arabe.
Au tournant du XIXe et du XXe siècle, les musiciens et musicologues égyptiens cherchent à concilier la musique savante orientale ottomane, et la création d’une identité culturelle arabe contemporaine, qui puise à la fois dans les sources théoriques arabes de l’âge d’or abbasside et dans les formes et les instruments européens.

Les musiques de l'exil au XXe siècle, du Maghreb à Barbès : Initiée dès le XIXe siècle, l’immigration maghrébine en France s’intensifie au lendemain de la première, puis de la seconde guerre mondiale, encouragée par les mouvements d’indépendance et les besoins en main d’œuvre pour la reconstruction du pays. À Paris, les musiciens arabes, kabyles, musulmans et juifs immigrés trouvent un public et des maisons de disque qui di‚ffusent leurs chansons inspirées des traditions populaires, du répertoire judéo-arabe ou encore de celui des grands maîtres égyptiens. C’est aussi la naissance des cabarets orientaux au quartier latin. Progressivement, les musiques maghrébines d’abord cantonnées à un public communautaire s’étendent pour toucher une plus large audience. 

Arabia Remix, les musiques arabes d'aujourd'hui : Le XXIe siècle marque dans le monde arabe l’émergence de nouveaux styles, hérités du patrimoine musical arabe et enrichis d’emprunts occidentaux. Ces différents mouvements revendiquent leur filiation avec de grandes figures d’artistes engagés au Moyen Orient et au Maghreb, comme Cheikh Imam (Égypte), Marcel Khalifé (Liban) ou encore Nass el Ghiwane (Maroc) dont ils recherchent la liberté de parole. Des chaines youtube ainsi que des émissions de téléréalité comme Arab Idol réunissent des millions d’internautes et de spectateurs.

 

Bien qu’ayant eu un effet politique très contrasté, les mouvements révolutionnaires initiés en 2011 ont néanmoins suscité une intense créativité artistique notamment musicale qui se nourrit de l’usage de nouveaux médias, d’internet et des réseaux sociaux. À travers le monde, les musiques arabes s’épanouissent aussi bien dans les festivals communautaires que dans les salles de concert alternatives et les boîtes de nuit branchées.

Heureusement; le catalogue de l'expo développe le propos esquissé en s'attardant sur des chemins de traverses en faisant jouer les ressources du livre, de l'image et de la typographie/calligraphie. On pourra se passionner pour la musique des camps  - qui a eu le temps de se développer depuis le début des années 70 au Liban, comme ailleurs ou dévider et remonter une fois  encore, l'histoire du raï oranais depuis les années 20 du siècle dernier. Et enfin on se souviendra des affiches de films égyptiens qui parsemaient les murs et devantures des cinés de la Goutte d'Or/Barbès d'avant 1990 et la réfection du quartier, quand le moindre épicier envoyait la sauce avec son radio-cassette en balançant les tubes d'ailleurs qui en devenaient si familiers qu'ils remplaçaient dans nos têtes, les merdes du TOP 50. A-t-on à faire à une musique civilisation, comme le prône l'expo ou bien, faut-il  pour parler d'ailleurs en 2018, obligatoirement légitimer son propos à l'européenne ?  Souvenons-nous quand même que c'est le même Rachid Taha qui chante Diwan Et Nationale 7 et que cela n'a rien d'étrange. 

Jean-Pierre Simard le 24/04/18

Al Musiqa, voix et musiques du monde arabe, Philarmonie de Paris->19/08/18
Espace d'exposition de la Philarmonie - Porte de Pantin 75019 Paris  

Al Musiqa - catalogue de l'exposition, éditions Philarmonie de Paris /La Découverte  

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