La fin du contretemps de Dominique Blais. Plaît-il ?
Dominique Blais explore deux polarités: la magie et la science, avec les entités sensibles du son, de la lumière et du mouvement, en y recherchant des noyaux conceptuels et poétiques. Alors, contretemps ou pas ?
Avec sa quatrième exposition personnelle chez Xippas, Blais a fait s’épanouir les réflexions sensorielles complexes qu’il mène depuis une décennie, en proposant, d’une part, de jeter un coup d’œil en arrière, ou revenir sur ses pas avec les pièces, produites entre 2014 et aujourd’hui. Et d’autre part, de découvrir ses nouvelles productions inédites ouvrant vers des horizons ou des médiums inattendus. Ce double mouvement de la pensée crée une mise en abîme et referme la circonférence d’une réflexion mûrie au cours des années. L’image d’un cercle rejoignant l’idée d’un cycle temporel ou encore d’une boucle obsessionnelle devient ici transversale. Après être passée par plusieurs étapes, elle est devenue spirale qui, en s’élargissant graduellement sur les virages, se dirige vers l’achèvement de sa forme palindromique, la boucle se referme et est enfin bouclée.
Le cercle s'offre d’abord en une forme fantomatique et volontairement interrompue à travers une nouvelle pièce de la série Revolution. Des ampoules disposées selon une ligne courbe s’allument succinctement et prestement les unes après les autres suivies d’une période d’extinction appuyée. Elles forment une ellipse qui n’est visible qu’en partie ; le segment se prolongeant au delà de l’espace demeure invisible. L’œuvre invite le spectateur à participer à son activation — reconstruire sa forme, soit par la nécessité géométrique de compléter la figure à partir d’un fragment, soit à partir du souvenir des versions antérieures, en basculant entre ce qui est vu (ou déjà-vu) et le non-vu, afin de refermer virtuellement la circonférence d’une ellipse mi-présente, mi-hypothétique. Ici, le mouvement circulaire (revolutio au sens propre) ne s’achève que dans l’imagination en communiquant à la pièce un statut proche de celui d’un fantôme ou encore d’un fantasme qui s’apprête à s’échapper d’une fiction de white cube vers le monde extérieur dit “réel”.
L’idée du cercle revient dans Entropê où la forme de la sculpture en verre reprend celle de la toupie renvoyant à la notion de rotation qui, à son tour, s’imprime déjà dans le titre — étymologiquement entropê c’est “tourner”, “faire se retourner”, “se préoccuper” — tandis que le socle, un guéridon en chêne massif d’une forme épurée, y ajoute une touche atemporelle. Le mouvement reste en suspension, figé en une forme qui fonctionne comme un signe ou bien un symbole transitif, et joue du paradoxe antique pensé à l’envers : comme la flèche en mouvement de Zénon reste toujours immobile, la toupie ne bouge pas bien qu’elle ne cesse potentiellement de tourner, en suggérant que le mouvement n’est pensable ni conceptualisable que lorsqu’il est immobilisé.
Le motif du cercle s’épuise avec Empyrée, une série de quatre “tableaux”, créée à partir de carreaux de mosaïque en matière plastique réfléchissante choisie par l’artiste pour son caractère iridescent. La lumière, se reflétant sur la surface, explore ses propres limites et dévoile graduellement en fonction des déplacements du spectateur toutes les couleurs du disque de Newton. Cette pièce, construite selon le principe d’un puzzle, cherche à capturer l’unité, ou la nature même de la lumière, à travers la multiplicité, multiplicité des parties mais aussi des couleurs. Elle invite le spectateur à sortir d’une boucle qui se forme à travers les œuvres qu’il vient de découvrir, afin de remonter métaphoriquement jusqu’aux cieux paradisiaques : aux empyrées, à ces sphères illuminées par la force créatrice où les poètes retrouvent l’inspiration.
Bon voyage!
Armand Gorki le 16/03/18
Dominique Blais - La fin du Contretemps -> 7/04/18
Galerie Xippas 108, rue Vieille du Temple 75003 Paris