Banlieues Bleues ouvre ce soir !

Trente cinq jours sans voir la mer, à satisfaire la soif de musique proposée par le festival Banlieues Bleues qui ouvre les esprits et les oreilles à des sons toujours aventureux, ceux du jazz et de ses extrapolations aussi universelles que contemporaines. Envoi et notre sélection sur le mois. 

Tshegue et la fusion congolaise entre rythmes afros, rock garage et transe électro.

Après vous avoir rassuré en expliquant que seuls la soirée d'ouverture et le concert d'Altin Gün sont complets à ce jour;  comme d'habitude, l'édito de Xavier Lemettre, directeur de  Banlieues Bleues qui résume excellemment le propos : 

«La musique nous a sauvés, parce qu'elle nous libérait nous-mêmes». Les Sud-Africains ont aussi résisté en musique à l’apartheid, comme le rappelait Abdullah Ibrahim, qui lance ce 35e festival. L’Afrique du Sud célèbre les cent ans de Nelson Mandela et vibre aux sons d’une nouvelle génération: le blues aérien de Sibusile Xaba, la transe libératoire du collectif de Soweto BCUC, la danse des Via Katlehong aux côtés de Sons of Kemet, groupe-choc du jazzman britannique Shabaka Hutchings. Les esclaves, comme les déracinés, ont conjuré la douleur en inventant des musiques. Des champs de canne à sucre aux orgues des églises -Jacob Desvarieux Nanm Kann, Delgres, Lucky Peterson, Deva Mahal, des bas-fonds de BuenosAires ou de Bogota aux carnavals des Caraïbes, Melingo, Abelardo Carbonó, Anthony Joseph et Brother Resistance, Kobo Town, surgissent les musiques créoles: jazz, blues, gospel, tango, calypso, champeta, cumbia, rapso, reggae, zouk… En musique, l’imprévisible est roi. D’où vient ce groove haletant qui mêle l’énergie primale de la soul, l’abattage sophistiqué du jazz et le charme hypnotique d’une gamme pentatonique ancestrale? Du pays des Ethiopiques: Mahmoud Ahmed, Girma Bèyènè, Éténèsh Wassié, Akalé Wubé. Aurait-on pensé marier oud arabe classique et jazz électrique – Dhafer Youssef, no-wave et afro-latino The Mauskovic Dance Band, death metal et tropical - Chúpame El Dedo? Iriez-vous danser sur du folk-psyché turc made in Amsterdam – Altin Gün? Viendrez-vous fêter le grand retour du raï, avec son nouveau héros Sofiane Saidi, et ses nouveaux hérauts Mazalda? Les musiciennes et les musiciens créent hors des chemins balisés – Eve Risser, Nina Garcia, Širom, Joshua Abrams, Roberto Negro, Système Friche II… Elles et ils brisent les codes, les conventions, façon punk, afro-punk – Sarah Murcia, The Ex, Tshegue, funky-soul transgenre– Liniker E Os Caramelows, sans façonsOrchestre Tout Puissant Marcel Duchamp XXL, et savent regarder sans concession nos sociétés - Anarchist Republic of Bzzz. Et qui pour chanter haut et fort que les femmes doivent être égales aux hommes? Les Amazones d’Afrique! Le jazz d’aujourd’hui chemine dans l’entremêlement, l’éclectisme, la recherche de nouvelles formes musicales. On le retrouve aussi tout free tout soul - Laurent Bardainne Tigre d’eau douce, transfiguré en féérie mélodique jeune public –Antonin Tri Hoang Chewing-gum Silence, dans un portrait imaginaire de la ville de Détroit – Sylvain Daniel Palimpseste, et même sous les mixes ahurissants du pionnier de la house Theo Parrish… Et à l’image de la création Home, collaboration entre le groupe Papanosh, Roy Nathanson, Napoleon Maddox et des habitants de Clichy-sous-Bois, il cultive sa composante essentielle: celle d’une musique inclusive, qui sait et qui aime accueillir toutes les langues, les cultures, les générations, sous son toit.

Côté coups de cœur de la rédaction, on va surtout naviguer world/jazz avec des artistes dont on a, soit déjà publié des chroniques, soit qu'on va mettre en avant le jour de leur concert. A ce titre, d'entrée, on vous conseille de réserver pour le final éthiopien à Bobigny pour Ethiopiques Encore le 13 avril, ça risque juste d'être monstrueux, avec interview du fondateur du label éponyme Francis Falceto ce même jour. Ensuite, par ordre d'apparition : 

KOBO TOWN + DEVA MAHAL,  21 mars à 20h30 - Maison du Peuple, Pierrefitte-sur-Seine

Kobo Town de Canada, Trinidad & Tobago / Et si c'était de la diaspora de Toronto que s'inventait un des futurs du bon vieux calypso ? Éléments de réponse avec ce combo qui brasse les influences caribéennes... Il s'est choisi pour nom un quartier de Port of Spain, capitale de Trinidad. Le groupe drivé par Drew Gonsalves baigne depuis plus de dix ans dans les musiques des Caraïbes et irrigue ses textes d'un sens de l'ironie propre aux Calypsonians. Leur troisième album, produit par Ivan Duran (avec qui Drew avait collaboré sur le dernier disque de l'héroïne de son enfance, Calypso Rose) explore cinq siècles d'histoire, entre galères et post-colonialisme. En les épiçant d'un groove bien senti, pour sublimer des mélodies à la nécessaire douce-amertume.

DREW GONSALVES voix, guitare,PATRICK GIUNTA guitare, SEAN CORLEY trompette, SYLVAIN BARDIAU trombone, COREY WALLACE basse, ROBERT MILICEVIC batterie /// Photo @ DR

Deva Mahal-  États-Unis / Tel père, quelle fille : Deva Mahal reprend le flambeau en transcendant le blues ancestral en une soul intense. Un ADN familial que la fille du légendaire bluesman Taj Mahal a su métisser aux autres musiques afro-américaines. Sa voix puissante, Deva (prononcer Diva) l'a résolument ancrée dans l'actualité des musiques afro-américaines, incorporant l'intensité du gospel, les rythmes funk, une énergie presque rock et la sensibilité r'n'b de sa génération. Ainsi qu'un supplément d'âme:"La musique m'a donné l'occasion d'exprimer la douleur d'expériences vécues dans ma chair et la force de contester les stéréotypes raciaux, physiques et sexuels. Ce sont toutes ces idées préconçues que je veux faire tomber aujourd'hui."

DEVA MAHAL voix, BENJAMIN THIEBAULT claviers, ASHTON SELLARS guitare, PAT STEWART basse, ALEX BRAJKOVIC batterie /// Photo @ SHERVIN LAINEZ

Jacob Desvarieux

Jacob Desvarieux "Nanm Kann" (création, 23 mars à Gonesse)

"Jacob Desvarieux est le guitariste et le cofondateur de Kassav, le groupe français qui a eu le plus de succès à l'étranger, faisant mieux que Daft Punk et Johnny Hallyday ! Kassav, c'est le zouk de la musique antillaise. Pour Banlieues Bleues, je ne sais pas exactement ce qu'il va faire. Il va présenter un projet sous son nom où il va reprendre certaines chansons qu'il a écrites pour Kassav, avec d'autres titres, ce sera davantage du blues créole. C'est un très grand musicien qui nous fait l'honneur de la création de ce projet qui vivra sans doute plus tard dans d'autres festivals. Jacob Desvarieux s'est entouré d'un très beau groupe qui inclut Sonny Troupé, un formidable batteur. De plus, dans les chansons qu'il écrit pour cette création, il parle de l'esclavage. Le blues venait des champs de coton. Aux Antilles, c'était les champs de canne à sucre, d'où le titre de son projet, Nanm Kann."

Éténèsh Wassié Trio Yene Alem + Tigre d'eau douce  (27 mars à 20h30- La Dynamo de Banlieues Bleues, Pantin) 

Éthiopie, France / Éténèsh Wassié et Mathieu Sourisseau réinvestissent le vaste champ du répertoire éthiopien avec un trio lumineux. Au début il y eut l'invitation faite par les Toulousains du Tigre des Platanes à la chanteuse éthiopienne. Puis un duo, sur un registre plus intimiste avec le bassiste acoustique Mathieu Sourisseau, où ils reconfiguraient avec soin le répertoire traditionnel. Le duo s'était adjoint le batteur tout terrain Hamid Drake pour Banlieues Bleues 2011. L'aventure se prolonge avec ce nouveau trio qui tisse un envoutant tapis de drones, au milieu duquel cette grande voix azmari se révèle une fantastique improvisatrice.

ÉTÉNÈSH WASSIÉ voix, MATHIEU SOURISSEAU basse acoustique, SÉBASTIEN BACQUIAS violoncelle.

ÉTÉNÈSH WASSIÉ

Laurent Bardainne Quartet Tigre D'eau Douce - France / Free, soul et mystique : le quartette tout nouveau, tout chaud du fondateur de Poni Hoax et saxophoniste de Limousine.

Des projets, il en a mené des wagons : le rock écorché de Poni Hoax, le post-rock suave de Limousine ou encore dernièrement le trip électro Sabrina et Samantha. Mais jamais encore il n'avait mis son nom en avant. Avec ce quartet au nom antinomique et imaginaire, Laurent Bardainne passe le pas : placé sous le signe des ténor exaltés d'Ayler ou de Coltrane,"Tigre d'eau douce" ne se veut pas seulement "free", brut ou déchainé, mais aussi "soul", charnel, mystique. L'orgue Hammond d'Arnaud Roulin sera là pour le rappeler, au sein d'une distribution de premier choix, qui joue à Banlieues Bleues sa toute première fois. Et la naissance d'un bébé tigre, ça vaut toujours le déplacement.

LAURENT BARDAINNE saxophone ténor, composition, ARNAUD ROULIN orgue hammond, BRUNO CHEVILLON contrebasse, basse, PHILIPPE GLEIZES batterie/// Photo © DR

Theo Parrish et Sylvain Daniel, soirée "A Night in Detroit" (3 avril à La Marbrerie de Montreuil)

Les DJ-sets de ce pilier de la deep house « made in Detroit » ressemblent à de fascinants abrégés de la Great Black Music. Légende des musiques électroniques, Theo Parrish n’a pas bâti sa réputation dans n’importe quelle branche de la techno, mais dans celle qui s’inscrit presque naturellement dans l’histoire de la Great Black Music: la deep house née dans le Michigan entre Détroit et Chicago. Compositeur qui a étudié dans sa jeunesse le phénomène des sculptures sonores et fondateur de l’influent label Sound Signature, l’homme est aussi et surtout un DJ-conteur dont les mixs entêtants et soulful font transpirer tout aussi bien les corps que les consciences. Quant à Sylvain Daniel, il a craqué sur le son de Detroit et offre un rod-trip cinétique et visuel.

Sofiane Saidi  & Mazalda - Algérie/France 5/04 Epinay-sur-Seine

Ils ont pris en main le destin du raï 2.0, entre sensualité orientale et énergie groove teintée de psyché, au cœur de la piste de transe. « Sofiane, quand on t’a vu, tu ressemblais à un volcan. Dans lequel on s’est jeté. » Dès leur premier échange, les musiciens de Mazalda furent happés par le chant enivrant de Sofiane Saidi, dont la voix rauque et soul redonne au raï ses lettres de noblesse. Deux ans plus tard, cette union entre le natif de Sidi Bel Abbes et le gang des Lyonnais trafiqueurs de sons aboutit à El Njoum (l’étoile), un album qui rallume la flamme en régénérant par ses racines une musique dont l’ADN demeure intact, fait d’énergie émancipatrice, d’esprit rebelle, d’ivresse et du souffle chaud de l’amour.
Sofiane Saidi voix, Julien Lesuisse saxophone alto, saxophone électronique, voix, Stéphane Cézard saz, guitare, Lucas Spirli synthétiseur analogique, Adrien Spirli synthétiseur, Moncef Hakim percussions, Yann Lemeunier batterie, pads électroniques 

Sofiane Saidi  & Mazalda

ÉTHIOPIQUES ENCORE ! MAHMOUD AHMED, GIRMA BÈYÈNÈ, ÉTÉNÈSH WASSIÉ & AKALÉ WUBÉ CRÉATION ÉTHIOPIE, FRANCE - (MC Bobigny le 13/04/18)  

Vingt ans et trente volumes après le début de la série Éthiopiques, ce concert célèbre avec trois voix majuscules le groove si typique de la corne d’Afrique. Quoi de mieux, pour fêter l’anniversaire du label qui a fait découvrir au monde les merveilles de la musique moderne éthiopienne, que de rassembler le chanteur Mahmoud Ahmed, le James Brown d’Addis Abeba, auteur notamment du fabuleux Ere Mèla Mèla, le pianiste et chanteur Girma Bèyènè, autre vénérable vétéran de l’âge d’or du Swingin’ Addis, qui publiait l’an dernier un disque miraculeux, et la chanteuse Éténèsh Wassié, qui depuis les années 2000 a repris le flambeau?
Pour les accompagner, avec quelques autres invités de marque, le combo Akalé Wubé s’est fait une spécialité du groove en version éthiopienne.
Mahmoud Ahmed voix, Girma Bèyènè voix, Éténèsh Wassié voix, Samuel Yirga piano, Akalé Wubé : Etienne de la Sayette saxophones, flûtes bansurî et washint, Paul Bouclier trompette, krar, percussions, Loïc Réchard guitare, Oliver Degabriele basse, David Georgelet batterie, Melaku Belay danse avec la participation du chœur du collège Pierre Sémard dirigé par Romain Lapeyre

Jean-Pierre Simard le 16/03/18

Festival Banlieues Bleues, du 16 mars au 13 avril 2018
À la Dynamo (Pantin), en Seine-Saint-Denis (93), Paris (75) et dans le Val-d'Oise (95)
Tout le calendrier (sur trois pages)
Le site de Banlieues Bleues