Jupiter & Okwess : fuzz à Kinshasa

Après la révélation que fut Hotel Univers en 2013, Jupiter & Okwess, le groupe congolais de Jean-Pierre Bokondji  (dit Jupiter) a accouché en mars dernier du superbe Kin Sonic avec a little help from Damon Albarn et Warren Ellis. Ils vont bientôt tourner ici, on revient dessus. 

Avec Kin Sonic, leur deuxième album, Jupiter & Okwess transcendent le patrimoine inexploré de la musique congolaise en le plongeant dans le grand bain du contemporain. Fruit de multiples rencontres et influences absorbées au cour des centaines de voyages autour de la planète, Jupiter nous fait goûter et savourer sa nouvelle recette : l’Okwess ( la bouffe en langue kibunda). Recette à l’alchimie parfaite, à laquelle ont participé le leader de Blur et des Gorillaz Damon Albarn, le violoniste Warren Ellis, membre des Bad Seeds de Nick Cave et Robert Del Naja, le “3D” de Massive Attack, à qui l’on doit l’artwork - oeuvre unique et puissante - de l’album.

Pour Kin Sonic, Robert Del Naja a tenu à faire don de son cachet pour cette pochette a une association de Lemba, le quartier où vit Jupiter : La Fondation Etoile du Congo de Madame Princesse Kibinda Mariam Rita, dont elle est Présidente et la promotrice.  Rita est très attachée à ses racines. Fille d’un chef coutumier, elle s’est donnée pour mission d’aider les enfants des rues et plus particulièrement, ceux de Lemba. Jupiter est l’ambassadeur de cette fondation.

Dès le premier morceau intitulé Hello, les claviers de Damon Albarn trouvent la place qui leur convient. L'homme qui a donné un sacré coup de main à Jupiter pour le sortir de l'ombre sait ici se mettre au service d'une musique dont les motifs répétitifs à la guitare tressent une sorte de transe, tandis que le leader chanteur, d'une voix grave, laisse entendre ses paroles entre provoc et sagesse. "Le roi organisa une grande fête pour son mariage. Et il invita presque toutes les tribus. Il y a à boire, à manger. De l'okwess ('de la bouffe', ndlr), quoi ! Mais moi, je n'en ai rien à foutre de son argent", narre-t-il dans Benanga, avant de conclure d'un éclat de rire tonitruant.

À Sandrine Bonnaire, il fait lire pour Le temps passé un extrait d'un ouvrage de Zamenga Batukezanga, prolifique écrivain congolais du XXème siècle, sur le thème de la transmission du savoir aux plus jeunes : "Mes ancêtres, que voulez-vous : l'homme étant ainsi créé, vous savez vous-mêmes, quand on parcourt un bout de chemin, les faux pas ne manquent pas." Le propos reflète sûrement la philosophie de Jupiter. Et confirme sa capacité à éviter tout risque de formatage artistique.

Ne pas croupir dans ce pays où l’espérance de vie se situe autour de 50 ans. Alors que le Congo dispose d’immenses ressources naturelles, un demi-siècle d’une indépendance entièrement consacrée à la prospérité d’une poignée et à l’appauvrissement de tous les autres a fait suite à une ère coloniale où la captation des richesses a été la seule règle. C’est à cette douloureuse histoire, mais aussi à son dépassement, que s’attache également Jupiter dans des textes comme en son temps Zamenga Batukezanga, où la vérité avance prudemment, à pas feutrés, et ce compte tenu du danger encouru par ceux dont la langue se trouverait trop bien pendue. C’est sur le mode de la fable et de la parabole qu’il dénonce l’injustice sur Bengai Yo ou qu’il raille le « roi » dispendieux de l’argent des autres sur Benanga. Une prudence appelée diplomatie, notion propre à la famille Bokondji… Jupiter & Okwess chante la douleur dans Pondjo Pondjo (en langue tétéla), la nostalgie dans Le Temps Passé, l’euphorie avec Emikele Ngamo (rythme "Lokikinda" et langue mongo), l’esprit de vigilance prônée par Ofakombolo (rythme "Loyenge" et langue mongo). Chaque titre de Kin Sonic, a sa tranche de vie, son lot de réflexions, sa singularité sonore qui renouvèle avec puissance l'afro groove et le stoner rock de l'Afrique dans un tourbillon rythmique qui semble ne jamais s'arrêter.  

Autour de Jupiter se rassemblent aujourd’hui les fidèles Montana (du Staff Benda Bilili) à la batterie et Yendé à la basse, les guitaristes Eric et Richard ainsi que le percussionniste et choriste Blaise. A chaque titre, sa tranche de vie, son lot de réflexions, sa singularité. Produit par notre ami, le regretté Marc Antoine Moreau (“Amadou et Mariam”, "Songhoy Blues" ) emporté en décembre par le palu et François Gouverneur, Kin Sonic exprime, à travers l’exploration d’un patrimoine totalement occulté qui vient s’intégrer dans un paysage contemporain un instant qui voit les murs et les frontières exploser face au désir des hommes de partager un instant de beauté et de pure folie.

Maxime Duchamps le 2/01/18

-> 7/03/18   Jupiter & Okwess + Sheun Kuti au Bataclan à 19h 

Jupiter & Okwess Kin Sonic Zamora Label/L'Autre distribution