Lea Lund et Erik K rebelles sans pause

Entrer dans la galerie africaine au 53, rue Blanche et s'émerveiller du nombre d’objets et d’œuvres d’inspiration africaine. Y découvrir quelques grands formats noir et blanc signés Lea Lund. Puis, passé l’escalier en colimaçon, accéder à la trentaine d'image de l’exposition, dans une relation assez intime.

© LEA LUND & ERIK K – Erik, Slipway, Ostende, mai 2017

Lea Lund & Erik K forment un couple aussi étonnant que singulier, partageant le projet commun d’une photographie d’art. Erik K y figure un dandy/sapeur inspiré dans l’oeil de Léa Lund, plasticienne, graphiste et photographe qui scénographie l'architecture européenne au fil  de nombreux voyages.

Photographie très construite, le champ de l’image y est toujours extrêmement composé, pur, structuré par les lignes des grandes Architectures et des Espaces libérés de toute attraction, rendus à la liberté d’une scène vivante. Qu'il s'agisse d'Ostende, Paris, New York, Londres, Hanovre, Cologne, Varsovie, Hamburg, Berlin, Bruxelles, Milan, Anvers, Luxembourg, l'impressionnante liste des lieux de shooting ne semble jamais se clore et s'avère bien plus longue que celle citée, bien des villes suisses, allemandes, du Bénélux, françaises seront visitées avec cette fougue ….

L’Europe des places et des grands bâtiments renommés se situe en amont du processus photographique, comme des lieux espérés et désirés, appels de l’espace, de la légende et de l’oeil, inscrire cet autre “objet du désir”, entendez Erik K, dans la totalité de l’irradiation de sa présence, attitudes et canne comprise donnant une correspondance unique, aristocratique, yeux dans les yeux, sourire énigmatique et costumes de prix, à la Philharmonique de Paris de Jean Nouvel comme la Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry.

© LEA LUND & ERIK K - Philarmonie de Paris 2017

Erik K, Roi nègre de situation.

© LEA LUND & ERIK K

© LEA LUND & ERIK K

Là n’est pas le seul composant de cette oeuvre pertinente. Une réparation doublée d’une amicale attention, semble établir un statut particulier au jeu photographique, partagé, par le couple à la mémoire des peuples noirs et à leur libération de l’esclavage, histoire qui a meurtri autant leur chair que leur âme et dispense toujours son ombre dans la psyché actuelle…. Erik K projette la splendeur des soleils révolus sur tous lieux historiques et célèbres,  revanches, réparations, provocations; plus, Lea Lund, en centrant son regard essentiel sur ce seul personnage – il n’est jamais directement question de politique –  lui donne cette magique présence grâce à laquelle tout se met à vibrer, espaces, lieux, temps, sujets avérés de l’image. C’est toujours par une ironie plastique que l’oeil, en mouvement, mord à pleine dents l’obscurité du monde, consacre la beauté par une amoureuse célébration aristocratique du Roi Nègre.  Les réminiscences d’Apollinaire, Breton, Picasso , des Surréalistes ont forgé le lien à l’Art Nègre. Erik K incarne avec Maestria la figure du Dandy aristocrate, éblouissant le monde, l’habitant de sa royale présence. Dans un rayonnement, une dynamique, cette superbe relit, à travers l’œil de démiurge de Lea, toute l’ambivalence des lieux et des temps : souvent dans ces costumes et par le traitement du Noir et Blanc, puis de la Couleur, la photographie semble émerger de ce Paris du XIXe siècle, Baudelaire y remonte les Tuileries, passe la Madeleine…

Baudelaire: le Dandy est un héros aristocrate

Quand Erik K est à l’image, et il l’est systématiquement, c’est un hymne à la différence, à la beauté noire, port de tête altier, corps viril et puissant, yeux frondeurs et fiers, tiré à quatre épingles, silhouette de lord anglais, dandy en tout point baudelairien. Une prestance se marie à un éclat, une certitude faite de conquêtes signe sa présence, fierté saine du romantisme. Baudelaire écrivait: ” Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences. […] Le dandysme est un soleil couchant ; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie (II, 711). “ Le dandy est un éternel étranger, à la fois natif et cosmopolite, urbain et impertinent. C’est un voyeur, un ennemi de l’intérieur, un rebelle sans cause … Il est par excellence le héros de la vie moderne, attaché à maintenir l’éternelle beauté de la forme dans un monde où tout est voué à la disparition, a afficher son originalité dans un monde où règne le conformisme, à « fonder une espèce nouvelle d’aristocratie » dans un monde démocratique. C’est bien là cette légèreté d’allures, cette certitude de manières, cette simplicité dans l’air de domination, cette façon de porter un habit et de diriger un cheval, ces attitudes toujours calmes mais révélant la force, qui nous font penser, quand notre regard découvre un de ces êtres privilégiés en qui le joli et le redoutable se confondent si mystérieusement :«Voilà peut-être un homme riche, mais plus certainement un Hercule sans emploi.» 
Le Peintre de la vie moderne IX, 1863

© LEA LUND & ERIK K -Erik, place de la Concorde, Paris, septembre 2016

Des architextures…  

Tous ces lieux sont d’éminents messagers de l’Esprit, souvent monumentaux, ogres désertés ou en pleine gloire, géants de verres et d’aciers, escaliers, leur masse et leur profil s’imposent au delà de toutes arrière-cours, espaces libres, quais, gares, ponts, cafés célèbres, places, monuments historiques, Lea Lund situe son ambiance là où l’espace fait sens, happé par le lieu et son génie. A Paris, La place de la Concorde, le Trocadéro, l’église de la Madeleine, le Jardin des Tuileries, les espaces d’Abraxas à Noisy le Grand, le Palais-Royal, le parc de la Villette, la fondation Louis Vuitton donnent leur cadre à l’image. Lea Lund, en amoureuse, convoque les architectures, qu’elles soient baroques, modernes, classiques, voici La Philharmonie de Jean Nouvel, l’Atomium de Bruxelles, l’Olympic stadium de Berlin, une usine, tout métal saillant, à Essen, un immense huit de parc d’attraction, tout en fer, à Bottrop, au centre de l’Allemagne, le port d’Hamburg et toute une série de lieux, vides ou structurés. Ces lieux sont tous des lieux amplifiés, singuliers, un mouvement, un événement semble pourtant les rendre à leur présence, au moment des prises de vues. Ils donnent à Léa Lund l’occasion de s’emparer dans un rapport d’échelles, de la silhouette de son modèle, toujours pertinent dans son attitude par rapport au lieu même où il est photographié, animant de son énergie le souffle de l’image dans une métrique classique.

© LEA LUND & ERIK K -Erik-Ostende-septembre-2017

Le temps de l'image.

Qu’il saute d’un rocher à l’autre, plus haut que n’importe qui – Lea assure qu’aucun trucage ne vient se superposer au happening de la prise d’images, que tout est fait sans truquage. Une métrique mesure l’instant, ce qui semble, parfois peu croyable, tant la difficulté de saisir au vol, l’aigle, au moment le plus précis, celui d’une course dangereuse, à la bonne fraction de seconde, parait hasardeuse. Lea déclenche toujours au moment suprême, se coulant dans l’énergie du mouvement, cadre bien établi, perpectives et fuites saillantes, pour que l’image fuse, s’inscrive idéalement sur le film. Maîtrise de la lumière, des lumières, par tous les temps, il semble bien que tout cela respire au-delà de la complexité des éléments, une totale maîtrise du jeu aérien et de l’envol, alchimie heureuse de l’amour et de la photographie, quand l’œil ouvert au centre perçoit le monde totalement conscient et que s’ouvre une temporalité alémanique, geste de l’épreuve, royautés du sang, une part essentielle de l’ombre se défait alors du silence.

Il faudrait faire une étude plus détaillée des “poses” de ce modèle exclusif et particulier, de ses costumes, une joie saillante s’ajoute à sa présence, une gourmandise certaine et fougueuse anime le couple qui, toutes expositions faites à travers l’Europe, voyage, infuse le temps d’un conte précis et précieux. Jeu des désirs et inscription du corps, la réalisation de ces photographies semble devenu une recherche permanente d’aventures, de complicités; une raison de vivre, dans toute l’Europe, où les amis sont nombreux, comme les projets. Lea est suisse et Erik K zaïrois, leur rencontre en 2011 a précipité une aventure, fusionnant deux créativités pour les potentialiser, nul doute aussi que ce soit le témoignage d’un amour rare et complet. Au travail, sans complaisance, un projet sécrétant énergies et humour.

© LEA LUND & ERIK K – Erik, Namur, avril 2016

Corps et équilibres.



Le corps d’Érik est une ligne et un pilier. Qu’il soit appuyé sur sa canne princière, marche, saute, vole, se perche sur la rambarde d’un pont, voire d’un élément improbable du matériel trouvé sur place – panneaux, piliers, escabeau, échelle d’acier –  l’équilibre général de l’image est donné par l’impulsion de son corps prolongé de la canne essentielle; élément symbolique évoquant un doigt magique et invisible, un point secret dans l’air, parachevant l’architecture de la pose du corps par une ligne orientée vers un point d’équilibre secret, celui de l’image.

Sceptre, canne ithyphallique, objet particulier d’un relais de la puissance divine, de l’éclair dont on pourrait attendre la foudre, la canne d’Érik K désigne et reçoit, parachève le geste, articule et lie les différentes lignes qui sous-tendent le plan photographique. Objet “sacré” s’il en est, ligne de prolongation du bras et de tout le corps, elle est capteur d’énergies, présente dans toutes situations où le personnage est acteur, à la fois de lui-même et du regard qui le saisit.

© LEA LUND & ERIK K -  Plage de Lutry 12/2015

Plasticité de l'image photographique.

Une réponse d’ordre symbolique et secrète se superpose au traitement de l’image, au tirage, dont les noirs et blancs acquièrent la densité des tirages au charbon, à ces épreuves fin XIXe, leur donnant  cette plasticité qui retient l’ombre pour transmettre la lumière. Les supports sont encore griffés, rayés, dessinés parfois, pour que s’accroisse la perception, la sensation physique du tirage d’art, du plomb des gravures aux lignes douces qui structurent l’image. Lea Lund coule ses noirs et ses blancs dans l’eau troublée des rêves, parce que le rêve est aussi une part indistincte en cours de révélation, comme une épreuve vivante.

Lea Lund et Érik K, donnent la preuve d’une œuvre qui a trouvé et prouvé sa constitution sur tous les plans entrant dans sa réalisation : du désir et du voyage, des processus et procédés engagés, jusqu’à la galerie, chambre claire où le spectateur peut  jouir du spectacle qui s’y déploie. Cette densité donnée aux matières bues par le ciel, accroît la sensation des espaces lointains ou proches, défait les repères de l’heure, du jour, de la saison, pour énoncer un temps hors du temps: des lumières chaudes estivales, à celles plus océaniques et froides de l’automne et de l’hiver, le temps de la photographie éteint l’heure de son happening pour s’imposer définitivement. Jouissons donc, sans entraves, de ces quelques instants magiques.

Pascal Therme le 16/01/18

Lea Lund & Erik K en quelques dates :

2018 : Dandy & Sapeurs d’Afrique, La Galerie Africaine, 53 r Blanche, Paris 9ème + Galeries Royales d’Ostende
2017 : Salon Zürcher Africa, Paris 3ème – Récits d’Afrique, Paris 9ème – RFIP rencontre Franco-italiennes de la photographie, Milan – Mac’A, Cloître Saint-Louis, Avignon – Festival photographique de Saint-Laurent du Var – Festival Photo Münsingen – Rencontres de la photographie d’Arles – Expositions à Grenoble & Lausanne
2016 : X Septembre Gallery, Luxembourg – Galerie Anne & Just Jaeckin, Paris 6ème – Pièces à Conviction, Lausanne – Ex Nihilo, Grenoble – Rencontres de la photographie d’Arles
2015 : Anne et Just Jaeckin, Paris 6ème – Fischer Lichtgestaltung, Cologne
2014 : Fotofever, Paris – Photobastei, Zurich – ESF, Lausanne – Little Big Galerie, Paris 18ème
2013 : Lichtfeld, Bâle – Espace des Télégraphes, Lausanne
2012 : Kinshasa, dans le cadre du XIVe sommet de la francophonie – Espace Richterbuxtorf, Lausanne

Lea Lund et Erik  K- Dandy & Sapeurs d’Afrique ->30/01/18
La Galerie Africaine
53 rue Blanche, 75009 Paris 

© LEA LUND & ERIC K - Paris

Pascal Therme: photographe professionnel de reportages, vit et travaille à Paris.