Comme son nom ne l'indique pas… Louise Bourgeois Éditions
Cette exposition des éditions de Louise Bourgeois offre une plongée radicale dans l’univers mental de l’artiste, aussi libre de sa création qu’indiciblement conditionné par son histoire. Une création qui alterne plaisir technique évident du trait autant que retenue, capacité à l’épure laissant place à l’imaginaire tout en suggérant constamment une sensualité charnelle et inquiétante.
Le présent accrochage présente plus de cinquante œuvres : estampes individuelles, portfolios et livres illustrés, datés de la fin des années 80 à 2009. Parmi les pièces sélectionnées, il est possible d’apprécier des estampes sur tissu, ainsi que des pointes sèches, aquatintes et sérigraphies sur papier, que Bourgeois a souvent rehaussé de dessins.
"J'ai toujours éprouvé une fascination pour l'aiguille et son pouvoir magique." Louise Bourgeois
Tout au long de sa carrière Bourgeois s’est dédiée autant à la sculpture qu’aux œuvres sur papier et à l’édition. L’artiste s’est toujours intéressée à la gravure, mais ce travail d’impression a été particulièrement important dans son processus créatif à deux moments de sa carrière : tout d’abord pendant sa jeunesse quand, récemment arrivée à New York, elle suit des cours de gravure et évolue autour de l’Atelier 17 (où elle rencontre des artistes comme Tanguy, Masson ou Miró). Et plus tard, dans une phase très prolifique qui dure de la fin des années 80 jusqu’à sa mort. C’est sur cette seconde période de production, la plus florissante en termes de sujets, techniques et supports, que se focalise cette exposition. Réminiscence de son enfance et de sa vie parisienne — ses parents avaient une galerie de restauration de tapisseries anciennes à Saint Germain –, le tissu fait partie de l’imaginaire sculptural de l’artiste et est souvent lié à la couture comme métaphore d’une réparation psychique. Mais l’attachement de Bourgeois à la matière textile est si fort qu’elle l’utilise aussi comme support pour l’impression de gravures, dont des exemples remarquables comme Cross-eyed woman V (Bust of a woman) — pointe sèche sur tissu réalisée en 2004 — sont montrés dans l’exposition.
«Je gueule. Les surréalistes étaient à l’opposé : ils n’admettaient pas que la peine existât. Duchamp, la tête sur le billot, n’aurait pas admis qu’il était impuissant.» Louise Bourgeois
L’importance que Bourgeois accorde à la gravure découle de sa grande passion pour les livres illustrés et se joint à son amour pour la lecture et l’écriture. L’artiste est tellement fascinée par les mots et leur pouvoir révélateur de l’inconscient, que l’écriture devient partie intégrante du processus créatif, en jouant un rôle décisif dans la compréhension de ses émotions et de ses peurs. Ce n’est pas surprenant alors, que Bourgeois dédie autant d’attention à la production de livres d’artiste, comme The Puritan (1990), exposé ici. Composé de 8 illustrations et d’un texte écrit par l’artiste en 1947, celui-ci rompt un long silence éditorial (le tout premier livre de Bourgeois, He Disappeared into Complete Silence, avait été publié en 1947). Mais le processus de création des livres ne s’arrête souvent pas au format classique du volume relié. Ainsi Homely Girl, a Life (1991-1992) est un projet comptant une version reliée avec un texte d’Arthur Miller, ainsi qu’un portfolio de 10 pointes sèches ; nous montrons aujourd’hui les deux volumes de la version reliée.
Les portfolios constituent une partie conséquente de la production de multiples de Bourgeois. Plusieurs de ceux-ci sont présentés dans l’exposition, notamment Topiary (The art of Improving Nature). Ce portfolio de 9 images entre pointes sèches et aquatintes, réalisé en 1998, aborde le thème de la topiaire, art de la taille des arbres. Dans l’œuvre de Bourgeois les espèces végétales se font souvent métaphores de problématiques personnelles. Ainsi la force avec laquelle sa sœur Henriette combat une maladie qui provoque la progressive rigidité de sa jambe, est associée par Louise au pouvoir de régénération des plantes après un traumatisme. Topiary est aussi le titre d’une série de petits bronzes où un corps de femme schématisé se transforme en rameau, non sans rappeler l’iconographie du mythe de Daphné.
Le travail de gravure est alors fortement lié aux thématiques abordées par Bourgeois dans son œuvre sculpturale. Nous retrouvons donc dans l’exposition une version de la Sainte Sébastienne (pointe sèche en noir et blanc sur papier, de 1992), ainsi que le Tryptych for the Red Rooms (1994) qui propose une interprétation de l’arc d’hystérie, motif qui représente une condition physique et psychique où douleur et plaisir se mêlent et produisent une sensation d’excitation qui s’exprime dans une pulsion érotique. Une édition très spéciale des Fleurs réalisée par Bourgeois en 2009 pour un nombre restreint de proches, conclut ce tour dans l’univers d’une artiste dont la vie personnelle et artistique sont intimement liées. Reflet de ses névroses et obsessions, ses œuvres ont un caractère à la fois intime et violent, doux et percutant.
Maxime Duchamps le 16/01/18 avec galerie
Louise Bourgeois, Editions -> 24/02/18
Galerie Karsten-Greve 5, rue Debelleyme 75003 Paris