L'Homme hors de lui ou Valère Novarina reprend la Colline

Les hommes ne parlent que rarement à eux-mêmes, et jamais aux autres, des choses qui n’ont point reçu de nom.
—    Albert Fratellini

L’Homme hors de lui, monologue invectif vient d'être créé à La Colline. Valère Novarina y retrouve Dominique Pinon qui donne chaque soir aux lettres du livre leur pleine vérité concrète et leur liberté rythmique.

Un homme entre, écoute les herbes, s’adresse aux rochers et à nos trois cents yeux muets. Il donne des noms nouveaux aux insectes, aux oiseaux. Il se pose cinq questions ; lance en l’air quatre cailloux qui ne retombent point. La parole écrit dans l’air.

Valère Novarina est à la langue ce que la mécanique quantique est à la science. Sa manière de creuser les mots, dérouter les phrases, libérer la pensée, crée une musicalité qui ouvre les sens et d’où surgissent des perspectives inattendues. Il est surprenant à chaque instant parce qu’il est inventif, jubilatoire et tragique, métaphysique et burlesque.

Marie-José Mondzain dit de lui : « Si son théâtre est énigmatique ce n’est pas parce que Novarina est un homme du secret ou de l’ésotérisme, mais parce que c’est un homme de la révélation. Mais il s’agit de la révélation de l’homme par l’homme dans ce qu’elle a d’aveuglant, d’apocalyptique, d’explosif et de déroutant ».Ce qui, bien sûr, nous intéresse au premier chef.

Valère Novarina en action (painting)

La respiration figure la pensée. Penser c’est passer au travers des mots, les traverser un à un, les déstabiliser, sauter par-dessus, les renverser au passage, les dépasser comme dans la course de haies que j’admirais beaucoup, enfant, lorsque nous habitions juste derrière le stade – que nous entendions bruire à nouveau chaque samedi – de l’autre côté de la palissade du jardin.

Il faut densifier le langage, et qu’il se souvienne de toutes les langues : des langues d’avant, des langues de l’enfance et des langues des animaux. Il faut, sur le théâtre, déverser le langage sans cesse, jusqu’à ce que parfois la parole passe aux muets et le langage voyage hors d’homme.

Je cherche les mutations d’énergie. Que la parole soit donnée aux couleurs, aux animaux et aux objets. Le spectateur observe cette mue : la force renversante, le renversement du langage passe soudain de la bouche de l’acteur à tout l’espace, ou au pauvre bruit que fait un simple bâton en tombant. L’énergie du langage, l’acte de la parole venant soudain se réfugier hors de la scène et se taire dans ce qui est sans mot. (Valère Novarina

Maxime Duchamps le 29/09/17
L'Homme hors de lui de Valère Novarina -> 15/10/17
Théâtre de la Colline  15, rue Malte-Brun 75020 Paris