L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le projet Photos-Atlas de Frédéric Bridot, c'est géant !

Nous démarrons, avec la rentrée, une nouvelle et première série photographique au long cours. Le projet Photo-Atlas de Frédéric Bridot s'intéressant aux piétons Nantais de 2010 à 2016 se veut un atlas du lieu et de ses fréquentations, en regard du travail d'August Sander. Nous le diffusons intégralement à raison de trois planches par semaine. Premier et somptueux envoi.
 

On ne « lit » pas un atlas comme on lit un roman, un livre d'histoire ou un argument philosophique, de la première à la dernière page. D'ailleurs un atlas commence souvent – nous aurons sous peu à le vérifier – de façon arbitraire ou problématique, bien différemment du début d'une histoire ou de la prémisse d'un argument ; quant à sa fin, elle est souvent renvoyée à la survenue d'une nouvelle contrée, d'une nouvelle zone du savoir à explorer, en sorte qu'un atlas ne possède presque jamais une forme que l'on pourrait dire définitive. De plus, un atlas est à peine fait de « pages » au sens habituel du terme : plutôt de tables, de planches où sont disposées des images, planches que nous venons consulter dans un but précis ou bien que nous feuilletons à loisir, laissant divaguer notre « volonté de savoir » d'image en image et de planche en planche.”

Georges Didi-Huberman, “Atlas ou le gai savoir inquiet, l'œil de l'histoire 3”, p.11.

Après “Le paysan”, “L'artisan”, “La femme”, “Les catégories socio-professionnelles”, “Les artistes” et “La grande ville”, la somme monumentale — ou atlas œuvre ouverte — d'August Sander, “Hommes du XXe siècle”, se clôt sur un septième et, au regard des autres, très mince volume titré “Die letzten Menschen : Idioten, Kranke, Irre und die Materie” [“Les derniers des hommes : idiots, malades, fous et matière”]. Cette ultime section s'ouvre sur des portraits pris dans une institution pour aveugles vers 1930.

Ainsi, puisqu'il faut bien débuter notre propre Atlas par quelque chose, et parce qu'il n'est par ailleurs plus aujourd'hui question — même avec les meilleures intentions du monde — de catégoriser et de grouper selon les mêmes critères les individus tombés sous l'objectif du photographe, les 161 planches que voici seront inaugurées, en manière de déférence au maître insurpassable, par les portraits d'un fou et d'aveugles, sans que dans la suite de l'Atlas il n'y ait — pourtant — ni sections thématiques si bien définies, ni absolument circonscrites à telle ou telle planche, ou groupe de planches : nous sauterons de “classes” en échos de formes, répétitions de gestes, de marabout-de-ficelle en reconnaissance de similitudes inessentielles, montages, inventions de jeux de regards.

Le tout fabriqué à partir de 696 clichés parmi des milliers, extraits de 187 films exposés sans but précis d'abord, au fil des parcours journaliers, sur des années, dans quelques rues seulement d'une ville de province, en appuyant sur le déclencheur à cet instant même où, croisant le passant d'en face, nous lui jetons instinctivement un dernier regard tandis qu'il se place — sans le savoir — assez correctement devant l'appareil : il n'a pas changé de trajectoire au dernier moment, nous l'abordons à peu près de face, la lumière n'est pas mauvaise. Et au développement se découvrent des postures, des forces de présences individuelles et irréductibles que nous ne soupçonnions pas.

Enfin, au rythme de trois par semaine, je souhaite que vous vous preniez au jeu de la découverte planche à planche, chacune travaillée également pour elle-même, bien qu'il soit au fond totalement absurde de déployer ainsi un atlas qui ne se donne pour ce qu'il est — comme tout atlas — que dans l'épaisseur totale du volume immédiatement disponible sous l'œil et à la main.

Frédéric Bridot - Photos-Atlas/Nantes centre ville, 2010 - 2016
(dédié à l'inconnu de la planche 036)
édité par Jean-Pierre Simard le 11/09/17