Tête en l’air, au cœur de l’œuvre de Susanna Fritscher
Lorsqu’on pénètre dans le Musée d’Arts fraîchement (ré)ouvert de Nantes; au-delà de la réussite de la rénovation, c'est instantanément qu'on se laisse capter par une lumière tout droit issue du patio, au centre des deux escaliers, juste entre les deux immenses guichets. Le visiteur est invité, piqué de curiosité avant même de vouloir prendre son ticket. Il cherche déjà à en savoir plus.
L’œuvre de Susanna Fritscher intitulée « De l’air, de la lumière et du temps » défie la déambulation et la manière de regarder une œuvre in situ, en proposant une chorégraphie lente et contemplative, personnelle et poétique au nombre limité de visiteurs souhaitant rentrer dans le patio.
L’artiste à littéralement sculpté la lumière à l’aide de rideaux immenses suspendus, faits de long « fils » blancs parfaitement tendus mais que l’on sent fragile. Une sorte de toile d’araignée parfaitement sculptée en hauteur, cloisons translucides, où nous serions pris au piège sans nous avoir à nous débattre, sans crainte d’être dévoré… mais, avec l’espoir toujours d’être enveloppé de sérénité, de douceur, de bonheur, tant la déambulation « obligée » par le dispositif mis en place, permet de vivre une expérience d’un plaisir très simple.
Entre méditation et plaisir du « jeu », il y a la réflexion sur ce que le visiteur fait dans un musée (il déambule et son regard se pose au hasard des propositions et son plaisir contemplatif s’aiguise au fur et à mesure de sa contemplation, lorsque la scénographie est réussie, il s’extrait peu à peu des sons, des autres visiteurs, pour rencontrer les œuvres, et réduire l’espace entre lui et l’installation, pour s’en saisir, pour vivre un peu de ce moment où, pour citer Daniel Arasse « la peinture se lève ».)
Après quelques mots bienveillants et doucement explicatif de la manière dont nous devons « interagir » avec l’œuvre monumentale, nous nous approchons de la première entrée, happés par l’immensité des fils qui accrochent la lumière sans jamais nous éblouir. La tête en l’air pour saisir toute l’ampleur de la sculpturale lumineuse, bercé par intervalle régulier, mais non rythmé, de sons venant de nulle part… Aux quatre coins du patio, des sortes d’hélice tournent à intervalle et semblent danser avec l’air qui circule dans le musée.
Anne Mars me dira après l’expérience, qu'il lui a semblé être une aveugle, jolie oxymore de situation tout à fait juste pour décrire la sensation d’attention dans laquelle la situation nous plonge.
Et aveuglé par une pure beauté, déambulant avec précaution pour ne pas toucher l’œuvre, passer au travers des ouvertures indiquées par de petites pastilles parfaitement alignées comme si elles se reflétaient dans un miroir… nous voilà donc entre l’expérience sensorielle et le jeu, comme si nous recherchions l’issue d’un labyrinthe mais sans l’angoisse de ne pas la trouver.
Ce n’est qu’après l’expérience, lorsque l’on quitte le patio et que l’on prend un peu de distance que l’on saisit l’ampleur esthétique de la démarche de Susanna Fritscher. Elle offre un « spectacle » méditatif, poétique, lorsque l’on regarde (un peu voyeur, interrogatif lorsque l’on a pas soi-même vécu l’expérience, et souriant une fois que l’on « sait ») les visiteurs déambuler doucement, comme au ralenti, tête en l’air ou tête en bas, marcheurs attentifs, qui parsèment le sol et ont l’air de prendre leur temps. Ils font partie de la démarche, la pénètre, lui offrent une pulsation douce, une pulsation hors du temps et de sa course effrénée.
Susanna Fritscher semble bien vouloir nous indiquer qu’avec un peu de volonté, il est possible de redevenir des êtres contemplatifs, tête en l’air, marchant pas à pas, baignés de lumière et respirant calmement l’air qui nous enveloppe, en conscience. Cette invitation est donc une « ordonnance esthétique » de la plus haute importance.
Richard Manière, Voyage à Nantes 3e Partie
Susanna Fritscher, De l’air, de la lumière et du temps, au patio du Musée d’Arts de Nantes, jusqu’au 8 octobre 2017