Chino Amobi : Airport Music For Black Folk

Si vous êtes black, LGBT, pas de droite et sans vrai portefeuille d'actions (rires nerveux!) c'est assez dur pour vous. Mais, ne quittez pas ce monde de suite, Chino Amobi en a rêvé et l'a recréé pour vous. Son titre, emprunté à Dante, va vous faire traverser le purgatoire pour y arriver. Ou pas !  Quelques détails suivent pour les curieux.

Chino Amobi

Paradiso est conçu comme un zigzag d’entraves sonores, de collages de textes et de détritus mentaux et sonores :  indus 80's, pop, électronique lancinante, rythmique latino qui se traîne, synthés d’un autre âge. Tout est fait pour cogner, tout entre en collision, en intrusion dans les linéarités habituellement binaires entre mélodique et rythmique. Tout se télescope ici. Déchets de la vie urbaine avec jingles radio, gadgets défectueux et alarmes de voiture en forme de critique lancinante et radicale de notre purgatoire contemporain.

Chino Amobi, ex-Diamond Black Hearted Boy, cofondateur de NON Worldwide manifeste un vrai rejet de la culture de masse à dominante blanche internationalisée, comme des conditions politiques existantes. Paradiso, comme NON, compte un nombre assez fou de collaborations : Nkisi, FAKA, Haleek Maul, le modèle trans Aurel Haize Odogbo, Benja SL, Rabit, Dutch E Germ aka Tim DeWit, ex-Gang Gang Dance et, pour ouvrir le tout, un poème d’Edgar Allan Poe, The City In The Sea, qu’Elysia Crampton récite sur des bruits de vagues et de tonnerre.

elysia-crampton.

Peut-être que ce qui conviendrait le mieux à Paradiso pour le décrire, c’est dire qu'il se pose comme une tentative de ramener l’auditeur dans un présent vécu, dans un ici et maintenant, ou peut-être même dans le postulat d’une temporalité qui serait celle d’un « no present » radical, mais pas nihiliste. Quelque chose de l’ordre de trouver le chemin vers une intensité sensible insurrectionnelle. Radicaliser jusqu’à produire la sensation d’un cauchemar épuisant ou le son d’une parade monstrueuse qui viendrait réveiller un degré enfoui d’une forme de conscience au monde ; horror show politique.

Paradiso est une insurrection sensible contre un espace qui semble se vider de plus en plus. Une tentative de sens par surcharge au milieu d’un vide et d’une solitude de plus en plus crasse. Contre les oppressions, quelles qu’elles soient, il reste une arme massive, celle de l’intensité de nos vies vécues, bizarres et chaotiques. Paradiso décrit un monde sauvage et propose une politique du sauvage, sauvage non pas au sens Rousseauiste, mais au sens de politique de l’émeute sensible, du souterrain, et de l’intensité réelle;  celle de la surcharge sensible comme mode de lutte et de production possible contre l'amoindrissement d’un espace segmenté et routinier.

La collision, le rythme, la surcharge sensible comme autant de court-circuits possibles, comme autant d’armes critiques et pratiques contre un espace lisse et plat qui semble de plus en plus infini. Faire sens, non plus en cherchant l’universel mais, bel et bien, en pratiquant l’hybridation extrême utile à la création de monstruosités chimériques, nécessaires pour punir et sortir de la médiocrité du réel. Voilà une fiction possible que dégage Paradiso, une manière d’envisager le monstrueux comme forme d’ingouvernabilité nécessaire. Paradiso est un fragment de réel chaotique et politique possible et c’est une arme dense pour penser et envisager le Maintenant.

Si vous aviez oublié, à un moment, que la musique donne le La de la vie de la ville … le rappel à l'ordre est assez conséquent pour vous intriguer d'abord. Vous convaincre, suivra, au fil des écoutes.

Maxime Duchamps

Chino Amobi - Paradiso - NON Records